Roi du Maroc : lent face au séisme mais rapide face à Macron

« M6 » est arrivé accompagné de dizaines de voitures aux vitres fumées, d’officiels en gants blancs. Il est reparti aussi vite, sans complètement dissiper le malaise.

Etiquettes : Maroc, France, Mohammed VI, Emmanuel Macron, séisme, tremblement de terre, Pegasus,

Mohammed VI : Touche pas à mon despote!

Le roi du Maroc a pris son temps pour réagir au drame qui a frappé son pays, mais il a été prompt à faire connaître ses différends avec Macron.

Trois jours, trois interminables jours que les villageois veillant leurs morts ou recherchant sans fin leurs proches sous les décombres ont passés à guetter l’arrivée de leur souverain. Mais tout va bien, puisque Mohammed VI a finalement daigné paraître au Maroc, visiter un hôpital et donner son sang. Du sang royal, braves gens. Jusqu’à son arrivée, le royaume s’était muré dans un silence gêné.

Pas une voix ne devait s’élever avant celle du roi. Le Premier Ministre avait juste tweeté, les autres attendaient. « M6 » est arrivé accompagné de dizaines de voitures aux vitres fumées, d’officiels en gants blancs. Poussez-vous, manants, et défense de filmer, hein ? Un journaliste a été contrôlé : Les services de sécurité se sont imaginé qu’il cachait des caméras miniatures dans ses lunettes de soleil… Paranoïaque, M6 ? En voilà une idée. Il est reparti aussi vite, sans complètement dissiper le malaise.

Il était simplement à Paris, on a bien le droit, non ? Il aurait pu être au Gabon, où il passe beaucoup de temps dans sa paradisiaque villa, ou aux Seychelles, dont il affectionne les plages bordées de cocotiers. C’est normal, ce laps de temps : il ya peu de vols reliant quotidiennement Paris à Marrakech. Maintenant qu’il est là, tout va bien se passer ; il a été filmé, l’air attentif, en train de présider des réunions de travail. Il a mêle clos la séquence en donnant ses « très hautes instructions ».

Il est arrivé sans se presser

Il n’a choisi que 4 pays pour l’aide humanitaire : L’Espagne, le Royaume Uni, les Emirats et le Qatar. Quatre monarchies soutenant le principe de sa souveraineté sur le Sahara Occidental. L’humanitaire a pesé bien peu face à la géopolitique. « Le Maroc se comme une puissance régionale. Accepter trop d’aide humanitaire serait reconnaître sa faiblesse », rappelle un ancien ambassadeur à Rabat. 3000 morts, 5000 blessés, près de 300.000 personnes touchées, c’est fort triste, mais le prestige du Maroc et celui de son souverain le valent bien, non ? Et puis, c’est bien connu, tous ces humanitaires qui se bousculent dans le plus grand désordre, ça fait plus de mal que de bien.

Le Maroc penses ses plaies, et l’heures n’est pas aux questions gênantes. Par exemple sur le parcours politique de M6, qui a suscité tant d’espoir quand il est monté sur le trône, en 1999. C’était la fête alors, c’en était fini de cette pesanteur étouffante qui prévalait sous Hassan II, du terrible Driss Basri, ministre de l’Intérieur, et du bagne de Tazmamart, où Hassan II laissait croupir ses opposants dans la chambre des rats ou des tuberculeux, après leur avoir subir de longues séances de torture. M6, tout de suite appelé « Le Roi des démunis », serait le nouveau Juan Carlos, conduisant son peuple d’une main ferme sur le chemin de la monarchie constitutionnelle.

Peu à peu, le jeune souverain a verrouillé le régime. Certes, plus de Tazmamart, plus de Driss Basri, plus d’épouvantails, mais un large édredon appuyé sur tout son peuple. « Du temps de Hassan II, il avait malgré tout une opposition de gauche et une opposition islamiste. Il ne fallait pas se dresser contre lui, mais on pouvait exister. La gauche est même arrivé au gouvernement lors dernières années de Hassan II. Aujourd’hui, la presse est encore moins libre et toute l’opposition est bâillonnée », assure Jean-Pierre Tu quoi, auteur du « Dernier Roi » (Grasset). M6 roi des démunis, voilà qui peut faire sourire. Le jeune souverain a dû partager avec ses frères et ses sœurs la torture de Hassan II, mais il est considéré aujourd’hui comme l’homme le plus riche d’Afrique. Il a investi tr`s judicieusement dans l’hôtellerie. « Au fond, le Maroc lui appartient. Il a près de la moitié de la valorisation de la Bourse de Casablanca », ajoute Tuquoi. Mais, depuis qu’il est au pouvoir, une véritable classe moyenne peine à émerger, l’analphabétisme reste une plaie et la pauvreté n’a pas suffisamment reculé.

Un nid douillet à Paris

Peu importe tout cela, l’obsession royale, c’est le Sahara Occidental. « Mohammed VI a été enivré par la volteface américaine sous Donald Trump et le changement de pied de l’Espagne en faveur de la « marocanité » du Sahara Occidental. Il était sûr que la France suivrait cette voient. Macron ne l’a pas fait, les relations sont devenues glaciales », raconte Vincent Hugeux, spécialiste de l’Afrique.

Et le président français a osé s’adresser directement, via une vidéo, au peuple marocain pour manifester sa solidarité. Sa Majesté n’a pas apprécié, paraît-il. On a souffleté l’impudent en faisant savoir, par communiqué, que le voyage de Macron n’était plus à l’ordre du jour. Après les déconvenues au Mali, au Burkina, au Niger, en Algérie, la France se tait, et M6 se frotte les mains. On ne parle même plus de l’affaire Pegasus, ce logiciel espion installe par Rabat dans le téléphone de Macron, ni des activités des narcotrafiquants de la province du Rif, qui inondent l’Europe de leurs productions. « C’est l’éléphant dans la pièce », sourit un diplomate. Voilà M6 tranquille, il va pouvoir repartir au Gabon, aux Seychelles. Ou à Paris, dans son nid douillet, un splendide hôtel particulier non loin de la Tour Eiffel.
Anne-Sophie Mercier

Le Canard Enachaîné, 20 sept 2023

#Maroc #France #Macron #MohammedVI #Pegasus #Séisme #Tremblement

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*