Marie Arena s’est fait offrir (à son insu?) un luxueux séjour au Maroc

Panzeri le repenti était, selon ses propres aveux, généreux avec l’argent de ses amis marocains : l’un d’eux lui aurait offert, en 2015, un séjour avec Marie Arena à La Mamounia, un mythique palace de Marrakech.

Par Joël Matriche et Louis Colart

Ce fut une mauvaise journée : en bondissant le 9 décembre dernier sur Antonio Panzeri et Francesco Giorgi, les agents de la police judiciaire fédérale belge n’ont pas seulement contrarié une opération d’ingérence comme n’en avait jamais connu le Parlement européen, ils ont aussi anéanti chez l’ex-eurodéputé et son collaborateur tout espoir d’un Noël au balcon. « Atmoun cherchait un hôtel pour nous à Marrakech, c’est un hôtel très connu », a confessé Giorgi aux enquêteurs quelques jours seulement après son arrestation. Puis : « Je vous confirme que tout était pris en charge soit par Atmoun, soit par quelqu’un du Maroc. Tout était offert. »

Ce séjour sur invitation en décembre 2022 à La Mamounia – un cinq-étoiles parmi les plus réputés d’Afrique du Nord – n’aurait pas été une première pour Panzeri : en 2017 ou 2018, s’est-il souvenu il y a quelques semaines face aux policiers qui l’auditionnaient, c’est en compagnie de M. Giorgi et de sa partenaire, l’eurodéputée grecque Eva Kaili, qu’il s’y était reposé une semaine durant. Aux frais du gouvernement marocain ou, à tout le moins, d’un de ses représentants : Abderrahim Atmoun, ambassadeur du royaume chérifien en Pologne et corrupteur présumé de plusieurs membres du Parlement européen. « Ces voyages étaient totalement (hors extras) organisés et pris en charge par M. Atmoun », précisait Antonio Panzeri lors de son interrogatoire. « Il nous envoyait les numéros de vol par SMS. Nous n’avions aucune démarche à faire. » Contactés fin février par Le Soir, les avocats du couple Giorgi – Kaili n’avaient pas souhaité commenter.

Séjour pour deux dans un palace

Mais bien avant cela, c’est Marie Arena qui eut droit à une visite guidée du palace marrakchi en compagnie de son collègue Antonio Panzeri : « En 2015, il y a eu un voyage avec Marie Arena. Elle m’a accompagné deux ou trois jours à La Mamounia, où nous avons fait des rencontres avec la communauté sahraouie. » « Je pense que Marie Arena pense que c’est moi qui l’ai invitée mais, en réalité, tout a été pris en charge par Atmoun », précise encore l’ancien député européen italien dans ce compte rendu d’audition qu’ont pu consulter Le Soir et La Repubblica. Il ne précise pas à ce moment si son ami a réglé la note sur fonds propres ou sur ceux de l’Etat marocain.

Il apparaît toutefois de câbles diplomatiques cités par Le Soir à la mi-janvier que dès 2011, Rabat avait identifié le parlementaire européen comme un homme clef pouvant « être un allié de poids ou un adversaire redoutable », un interlocuteur politique qu’il valait mieux avoir comme ami que pour ennemi. Deux ans plus tard, dans une autre note confidentielle récapitulant les actions à mener afin de promouvoir les « intérêts du Maroc au sein du Parlement européen en 2013 », Panzeri était qualifié d’« ami du Maroc ».

Sollicitée par Le Soir sur cette excursion marocaine de 2015, Marie Arena n’a pas donné suite. Dans ses précédentes explications, elle n’avait pas caché « une amitié professionnelle » nouée avec le néo-repenti au cours de la précédente législature européenne. Amitié qui s’étoffe donc aujourd’hui de ce voyage offert – peut-être à son insu – par un officiel marocain.

« L’argent et les voyages n’étaient pas pris en charge par Atmoun mais par une agence marocaine », enchaîne un peu plus loin dans son audition Antonio Panzeri, sans pour autant préciser à quels voyages et à quelle période il se réfère. « Je l’ai découvert car ma clef d’hôtel était dans une pochette avec le nom de la réservation. Il s’agissait de la DGED. C’est là que j’ai compris. » DGED, quatre initiales pour Direction générale des études et de la documentation, les services secrets extérieurs marocains. Selon une note déclassifiée de la Sûreté de l’Etat versée à l’instruction judiciaire, Abderrahim Atmoun recevait ses ordres dans cette opération d’ingérence d’un agent secret de la DGED, un certain Mohamed B.

Une réunion bien préparée

Invité le 17 janvier sur le plateau de la RTBF, juste après la signature du mémorandum de repenti, l’un des avocats de Panzeri se faisait son porte-voix : « Une des raisons pour lesquelles M. Panzeri avait envie de s’exprimer, c’est parce qu’il sait qu’il a trahi la confiance de certaines personnes et Marie Arena en fait partie. (…) Il estime que c’est quelqu’un de très droit, qui n’aurait pas dû être accusé comme c’est le cas ici. Il citera son nom pour dire qu’elle n’a strictement rien à voir et qu’il n’aurait jamais osé lui proposer quoi que ce soit », promettait Me Laurent Kennes.

En audition, Antonio Panzeri a tenu cette promesse. A plusieurs reprises, comme pour ce séjour de 2015 à Marrakech, il blanchit l’ancienne ministre-présidente de la Communauté française. « Je tiens à préciser qu’elle n’a rien à voir avec ces histoires », dit-il par exemple en faisant référence au deal occulte avec le Qatar.

Pourtant, les enquêteurs ne cessent de tomber sur l’identité de la Montoise. L’attitude de la présidente démissionnaire de la sous-commission des droits de l’homme autour de l’audition du ministre du Travail du Qatar, le Dr Ali bin Samikh Al Marri le 14 novembre 2022, en est la parfaite illustration. Lors d’un de ses interrogatoires, Francesco Giorgi a affirmé avoir rencontré, en compagnie de M. Panzeri, une délégation qatarie le 10 octobre 2022 à l’hôtel Wiltcher’s afin de « préparer le ministre à cette audition programmée au Parlement ». Saisies par les enquêteurs, des images de vidéosurveillance attestent de ce rendez-vous.

Profitant de son passage à Bruxelles, le ministre Al Marri discute le lendemain, 11 octobre, avec des représentants officiels de l’UE : un des vice-présidents de la Commission, une eurodéputée allemande ainsi que Marie Arena, présidente de la sous-commission des droits humains. Deux semaines plus tard, pour donner suite à cette rencontre avec son interlocuteur qatari, Mme Arena l’invite officiellement à participer à la réunion qui sera organisée le 14 novembre au Parlement afin, notamment, de débattre des droits des travailleurs étrangers au Qatar. Question logique : de qui venait l’idée d’auditionner le 14 novembre au Parlement le ministre du Travail du Qatar ? Comment le Dr Al Marri pouvait-il être « préparé » dès le 10 octobre pour un débat auquel il n’était pas encore formellement invité ? A cette interrogation aussi, Marie Arena n’a laissé qu’un silence comme réponse.

Ce qui apparaît encore, à la lumière des écoutes téléphoniques effectuées sur l’appareil d’Antonio Panzeri, c’est que Marie Arena n’ignorait pas qu’il existait un contact entre le Qatari et son ami Antonio. Le 14 novembre, peu après la fin de cette fameuse séance en sous-commission droits de l’homme, Marie Arena appelait l’Italien. Dans cette interception téléphonique dont Le Soir a déjà fait état, le second complimente la première pour son intervention et lui annonce que le ministre (M. Al-Marri) est tout aussi satisfait. La Montoise ne semble pas surprise par cette connexion entre son ami et les autorités qataries. A ce curieux échange téléphonique, Mme Arena n’a pas davantage souhaité apporter de précision.

S’il n’apparaît nullement dans les auditions et les témoignages auxquels Le Soir a eu accès que la socialiste aurait pu, contrairement à certains de ses collègues, être rétribuée par son ami Antonio Panzeri ou par un intermédiaire étranger, sa promiscuité avec l’ex-élu milanais la font plus que jamais apparaître comme celle qui était au mauvais endroit au mauvais moment avec la mauvaise personne.

«Je lui ai trouvé un avocat»
Par Louis Colart et Joël Matriche
Le 9 décembre 2022, lorsque les agents de la fédérale investissent appartements et bureaux bruxellois afin d’y mener une quinzaine de perquisitions et une poignée d’interpellations, c’est la panique. Ne parvenant pas à joindre son compagnon Francesco Giorgi, la vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, tente d’abord sa chance auprès d’Antonio Panzeri. Qui ne décroche pas davantage puisqu’il a, lui aussi, été amené pour être interrogé. « J’ai alors essayé de joindre Marc Tarabella, puis Marie Arena », raconte encore Mme Kaili lors d’une de ses auditions. « Ils m’ont répondu qu’ils ne savaient pas pourquoi Panzeri ne répondait pas. »

En début d’après-midi, chacun sait que le syndicaliste Luca Visentini, Francesco Giorgi, Niccolo Figa-Talamanca et Antonio Panzeri ont été interpellés, à la lumière des révélations du Soir et de Knack. Le sort de ce dernier inquiète autant M., un de ses anciens assistants, que Marie Arena.

– « Tu m’as cherchée ? », demande, en décrochant, l’eurodéputée belge à son interlocuteur.

– « Oui, je t’ai cherchée pour dire qu’à mon avis, il a été arrêté. Il faut donc lui trouver un avocat. »

– « J’ai envoyé déjà, j’ai déjà envoyé. C’est déjà fait. »

– « Ah… OK », se rassure M.

C’est donc, à en croire le contenu de cette écoute policière, Marie Arena qui dans l’urgence, a mandaté un avocat pour représenter son ami Antonio Panzeri. S’agissait-il déjà de Mes Kennes et Uyttendaele ? Contactés par Le Soir, ni l’eurodéputée ni les avocats n’ont souhaité apporter de précision.

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