Alcool : un mal à deux visages

Alae BENNANI

Au delà des nécessaires structures de prise en charge, l’addiction met pendant le mois de ramadan la société marocaine devant plusieurs de ses contradictions. Le rapport à l’alcool en est bien un. Le point.

Pendant chaque ramadan, les paradoxes comportementaux chez la majorité des Marocains atteignent leur pic et dernièrement, cette boutade a atteint son paroxysme : l’alcootest s’installe au Maroc, soit dans un pays où les musulmans seraient censés ne pas consommer d’alcool. Le contexte est pour le moins intriguant pour certains. L’annonce a été faite pendant le mois de l’abstinence. Mais toute intrigue mise de côté, le taux d’addiction à l’alcool parmi la population a de quoi alarmer. Il serait de 2,5%. Un chiffre à nuancer, l’alcoolisme étant toujours un sujet tabou.

Les personnes touchées par l’addiction sont plutôt des hommes. Le ramadan fait certes office de frein à leur dépendance, « mais nombre parmi les personnes dépendantes passe d’une manière obsédante tout le mois du ramadan à préparer sa sortie pour reprendre leurs activités éthyliques de plus belle… », nous révèle Soundous Sediki, responsable d’addictologie au Centre Ibno Rochd de Casablanca. Durant tout le mois de ramadan, les Marocains arrêtent de consommer les boissons alcoolisées mais s’adonnent à un substitut plus accessible et plus toléré : le cannabis. Pourquoi donc une telle dépendance ? Pour l’addictologue, les causes sont multiples et vont des troubles psychologiques à la vulnérabilité génétique et familiale.

«Je ne pense pas que la conviction religieuse seule puisse pousser l’individu à ne plus consommer d’alcool. La religion ne peut être le seul remède».

Ibrahim Hamdaoui, sociologue

Comment ces personnes sont-elles prises en charge ? « On commence par une consultation ambulatoire, un travail de motivation et une thérapie comportementale », nous explique Sediki. En cas d’échec «nous effectuons une cure de désintoxication. Au bout de 2 mois, le patient n’est plus accro à l’alcool mais il faut toujours le suivre de loin », nous précise-t-elle.Dans ce même centre, une association des alcooliques anonymes est opérationnelle depuis des années. De plus, un futur projet d’hôpital d’addictologie verra bientôt le jour à l’ancienne médina. Le ministère de la santé affecte de plus en plus de médecins spécialistes en la matière.
Ibrahim Hamdaoui, Sociologue.

Exception faite du mois de ramadan, les chiffres sur la consommation d’alcool au Maroc sont de plus en plus alarmants. Que faut-il en conclure à votre avis ?
Les Marocains se retrouvent face à des institutions sociales faussées et, souvent, déprimantes poussant plusieurs à noyer leur désarroi dans l’alcool. Les Marocains sont aussi de plus en plus exposés aux tentations, sous prétexte de vouloir faire la fête. De plus, ceux qui consomment l’alcool sont censés être punis par la loi, chose qui n’arrive que très rarement. D’autres problèmes peuvent être cités tels que les troubles émotionnels, l’échec, les ruptures et les déphasages entre générations.


Comment expliquez-vous que des personnes dépendantes puissent s’abstenir un mois durant ?
Le ramadan considéré comme mois sacré, les ventes sont interdites et les consommateurs s’en abstiennent par obligation. Je ne pense pas que la conviction religieuse seule puisse pousser l’individu à ne plus consommer d’alcool. La religion ne peut être le seul remède.

Qu’est-ce qui justifie cette hypocrisie extraordinaire et le passage du tout-permis au tout-interdit pendant le ramadan ?

C’est une question d’identité qui est, je vous l’accorde, assez schizophrène. La notion d’identité a été définie par les inter actionnistes américains à partir de deux théories complémentaires : la théorie de l’identité et la théorie de l’identité sociale. Ces théories affirment que l’identité assumée par l’individu est le résultat d’un processus dynamique d’identification de soi qui fait référence à une structure sociale préétablie. L’individu possède une multitude d’identités potentiellement actualisées et qui peuvent être activées dans une situation de communication sociale bien déterminée.


Mais une chose est sûre, les Marocains consomment de plus en plus d’alcool. Il faut compter 3,65 litres par habitant et par an. Constat : la consommation a baissé à cause de l’augmentation de la taxe par l’Etat, le marquage fiscal et l’été, saison de grande consommation, qui coïncide ces dernières années avec l’arrivée du mois de ramadan. Cette baisse laisse Leila Amrani , psychologue bénévole, et vice-présidente de Nassim, une association de prévention et de lutte contre les addictions, affirmer que la religion est un facteur protecteur. En effet, le ramadan est une occasion aux buveurs de laisser reposer leur foie et d’actualiser leur foi.

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