Gazoduc Nigeria-Maroc : La désillusion

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Par Yacine Merzougui

Une expertise assez poussée a démontré que le projet de réalisation d’un gazoduc entre le Nigeria et le Maroc est utopique, voire impossible dans le contexte actuel du marché des hydrocarbures.

L’Algérie a décidé de renouer avec le projet du TSGP (Trans-Saharian Gas Pipeline), initié il y a plus de 15 ans, mais gelé pour diverses raisons. En revanche, les Marocains ont pris pour argent comptant ce projet de gazoduc reliant le Nigeria au royaume chérifien.

Manque de fonds
Même s’ils ont impliqué deux fonds souverains publics, le Nigeria et le Maroc sont incapables techniquement de lever les fonds nécessaires à la réalisation de ce projet. Il va falloir mobiliser pas moins de 8 milliards de dollars, dans un contexte où les investissements dans le secteur des hydrocarbures sont presque tournés vers le court terme. Selon plusieurs sources, le projet du gazoduc Nigeria-Maroc est, en fait, un prolongement d’un gazoduc sous-marin qui existe déjà. Celui-ci, baptisé le Gazoduc ouest-africain, relie le Nigeria à Cotonou au Bénin, Lomé au Togo et Téma et Takoradi au Ghana sur une longueur de 678 km.

Les parts sociales du Gazoduc ouest-africain, qui sont gérées par la société Wapco, appartiennent à consortium d’Etats et de multinationales telles que Chevron et Shell. Il alimente principalement les centrales électriques des trois pays, à hauteur de 2 milliards de mètres cubes par an. Le nouveau projet consiste à le prolonger en longeant les côtes des pays de l’Afrique de l’Ouest pour joindre le Maroc, voire l’Europe, éventuellement. Le prolongement proposé dans ce projet est estimé à 3 000 km. Il traverserait le territoire alors de nombreux pays dont le Sénégal, la Mauritanie, mais aussi, avant d’atteindre les cotes marocaines, le Sahara occidental.

Toutefois, les experts restent sceptiques quant à la faisabilité du projet sur un plan purement technique. Tout d’abord, en terme de capacité, il faut retenir que le gazoduc sous-marin est composé d’un tube de 20 pouces seulement. Sa capacité de transport est donc limitée à 5 milliards de mètres cubes par an. En conséquence, le Nigeria ne peut mettre sur ce «méga-projet», qu’une quantité supplémentaire de 3 milliards de mètres cubes. Si on suit cette logique, on sera dans l’obligation de déduire un milliard de mètres cubes à consommer au niveau du Maroc. Il ne restera alors que deux milliards de mètres cubes de gaz à exporter vers l’Europe. Quel est, dans ce cas, le pays européen qui prendrait au sérieux une telle quantité ? A titre comparatif, les capacités de l’Algérie à alimenter l’Espagne sont de l’ordre de 20 milliards de mètres cubes par an (8 milliards sur Medgaz et 12 milliards sur GME).

La seconde contrainte que relèvent les experts réside dans le fait que le gazoduc sous-marin du Nigeria est très proche des côtes des pays qu’il traverse. A une distance variant entre 10 et 15 milles, le gazoduc est souvent abîmé par les ancres des bateaux. Cela perturbe énormément le programme d’alimentation des clients. Aucun pays européen n’est en mesure d’accepter ce risque, même si les quantités livrées sont importantes. Troisième contrainte: le temps. Pour construire la première tranche du Gazoduc ouest-africain (de 678 km), le Nigeria a consommé 28 ans.

Alors, de combien de temps disposerait ce pays pour le rallonger de 3 000 kilomètres et construire 10 stations de compression ? Absence de vision stratégique De l’avis de tous, le projet marocain manque visiblement de consistance et n’intéresse aucun client européen. Au-delà de la faible quantité proposée et de l’absence de fonds, le Nigeria n’a jamais été un fournisseur fiable aux Européens qui préfèrent toujours se tourner vers des clients sûrs (la Russie, la Norvège, le Qatar et l’Algérie). Le Nigeria ne peut intéresser l’Europe que s’il passe par l’Algérie. C’est la raison pour laquelle le Lagos continue de s’accrocher au TSGP (Trans-Saharian Gas Pipeline) que l’Algérie a préféré geler. L’idée de ce projet est née du Nepad, Programme de coopération africain, appuyé au début du siècle par Georges Bush et par la Banque mondiale.

Signé en janvier 2002 entre Sonatrach et la Nigerian National Petroleum Company (NNPC), le TSGP est un projet algéro-nigérian pour la construction d’un gazoduc destiné à acheminer 20 à 30 milliards de m3 de gaz naturel du Nigeria vers l’Europe via le Niger et l’Algérie. Son coût est évalué à 10 milliards de dollars. Ces fonds devaient provenir en grande partie d’un financement de la Banque mondiale. Le TSGP est long de 4128 kilomètres, dont 1037 km en territoire nigérian, 841 km au Niger et 2310 km sur le territoire algérien jusqu’à ElKala.

Le projet compte également la construction d’une vingtaine de stations de compression. L’impact global de la réalisation de ce grand projet sera d’ouvrir des perspectives à l’activité économique et au progrès social pour toutes les régions qu’il aura à traverser. L’une de ces perspectives sera de permettre l’alimentation en gaz naturel des régions désertiques traversées, y compris celles de certaines régions des pays voisins du tracé du gazoduc.

En mai 2005, les deux partenaires Sonatrach et NNPC ont chargé le Bureau britannique Penspen/lPA de la réalisation de l’étude de faisabilité du gazoduc. L’étude a confirmé la faisabilité du projet. La fausse note Avant même de mettre en œuvre ce projet de TSGP, la Sonatrach et Chakib Khelil ont décidé de mettre la charrue avant les bœufs.

Pour expédier le gaz nigérian vers l’Europe, l’Algérie s’est dotée d’un méga-train GNL d’une capacité de production de 4,5 millions de tonnes et surtout lancé le projet du Galsi, un gazoduc sousmarin qui devait relier El-Kala à l’Italie via la Sardaigne. Le Galsi est financé par la Sonatrach (41,60%), la Région Sardaigne (11,60%) et les trois compagnies italiennes Enel Power (15,60%), Edison (20,80%) et Hera SpA (10,40%).

Long de 1.505 km, ce gazoduc devait acheminer jusqu’à huit milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. Et si la Sonatrach a mis sur la table une bagatelle de 4 milliards de dollars pour la réalisation du nouveau complexe GNL, elle a failli débourser presque autant dans le projet Galsi. Cette idée de renforcer l’amont du Galsi a également englouti 1.4 milliards de dollars pour la construction d’un gazoduc (GK3, 42″) reliant Hassi R’mel à El-Kala.

Avec le départ de Chakib Khelil, tous les projets Galsi et TSGP ont été gelés, voire abandonnés. Le problème de la sécurisation des installations sur une distance aussi longue aura été le principal argument pour justifier cette décision. Aujourd’hui, les Nigérians sont conscients que seule l’Algérie est en mesure de les relier directement aux consommateurs européens et pour cela, il est impératif de sauver le projet TSGP par le biais du Galsi. Ce qui explique en partie pourquoi ils continuent de manœuvrer pour inciter l’Algérie à reprendre ce gigantesque chantier. Plan B nigérian Le Nigeria recèle un grand potentiel pétrolier et gazier. Sa production en gaz avoisine une moyenne de 40 milliards de mètres cubes par an, soit la moitié de la production algérienne. En outre, d’importantes quantités de gaz associés sont carrément brûlées lors de l’extraction du pétrole brute. Le pays ne dispose pas des moyens conséquents pour investir dans le traitement des gaz qui sont torchés depuis trois décennies.

Les multinationales Shell, Chevron, ENI, Total et autres ne se sentent pas concernées par le fait que le Nigeria est devenu le pays le plus pollueur d’Afrique. Pour l’exportation de son gaz produit, le Nigeria éprouve toutes les peines du monde. Contrairement à l’Algérie qui a investi dans les gazoducs pour desservir l’Europe avec une capacité de 42 milliards de mètres cubes par an, le Nigeria est pratiquement isolé en matière de transport par canalisation. Seul le Gazoduc ouest-africain (5 milliards de mètres cubes par an) est opérationnel.

Les opérations de sabotage, très fréquentes dans le delta du Niger, n’ont pas encouragé les investisseurs à s’engager dans la construction des gazoducs. Reste alors la liquéfaction du gaz naturel comme ultime solution pour exporter le gaz. Pour réaliser ces opérations, la compagnie nationale nigériane NNPC s’est associée, en 1989, avec Shell, Total et Eni pour la construction, au niveau du terminal Bonny Island, de l’unique complexe de liquéfaction du pays. Cette industrie de liquéfaction du gaz a traversé plusieurs phases pour atteindre en 2010, six unités d’une capacité globale de 22 MPTA. Un projet lancé conjointement par NNPC, Total et Eni pour la construction du terminal GNL de Brass (10 millions de tonnes par an) tarde à voir le jour, en raison du manque de financement. Les exportations de GNL par le Nigeria sont estimées à 25,3 milliards de mètres cubes par an. Elles représentent 66 % de la production du pays. Les cargaisons de GNL ciblent plutôt les marchés à forte valeur ajoutée, tels le Japon (6,5 milliards de m³), la Corée du Sud (4,4 milliards de m³), et le Mexique (2,5 milliards de m³). L’Espagne est le seul client européen avec seulement une quantité de 2,7 milliards de m³ par an.

L’italien Enel et l’espagnol Enagas ne font plus partie du portefeuille clients du Nigeria, car ceux-ci sont tournés vers le spot qatari qui inonde l’Europe avec des prix assez attractifs. Le plus impressionnant est le fait qu’au moment où le Nigeria signe le Mou avec le Maroc pour la construction d’un gazoduc reliant les deux pays, la compagnie Nigeria LNG (NLNG), qui exploite les usines de liquéfaction du gaz, annonce son intention de lever, sur les marchés internationaux, 1 à 2 milliards de dollars pour financer la construction de deux nouvelles unités de liquéfaction de gaz. NLNG compte porter sa capacité de liquéfaction à 30 milliards de mètres cubes par an. Au cas où ce projet de GNL est réalisé, le Nigeria aura consommé toutes les quantités destinées à l’exportation. D’où est-ce qu’il irait chercher alors les 5 milliards de mètres cubes prédestinés au projet marocain ? Le business de la diplomatie se trouve confronté à la réalité des limites des capacités de production du pays.

E-bourse, 26 juin 2022

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