Nora Zaïr : « Je suis une photographe humaniste ».

Algérie, Nora Zaïr, photographie, quartier Sidi El Houari, Oran,

« Photographe de rue » comme elle aime à se définir, Nora Zaïr s’est prise d’affection pour le vieux quartier en ruine Sidi El Houari d’Oran, sa ville natale, qu’elle tente d’immortaliser à travers ses clichés. Pour dzairworld.com, l’artiste a accepté de revenir sur une passion débutée il y a tout juste 10 ans.

Vous vous rêviez en artiste peintre mais finalement vous avez fait des études en hydraulique. Comment êtes vous tombée dans l’œil de l’objectif ?
Enfant, j’étais surtout passionnée par l’image. J’aimais beaucoup les contes de fée parce qu’il y avait de belles images que je voyais à la télévision. Je reproduisais les personnages en dessin. C’est comme cela que j’ai développé ma pratique par le dessin. Quand j’ai eu mon bac, j’ai choisi l’école des Beaux Arts d’Alger. J’ai été acceptée mais mes parents ont refusé l’internat. J’ai arrêté de dessiner bien que la passion pour l’image soit restée. J’ai alors poursuivi des études en Hydraulique à Oran. Une fois mon diplôme en poche, j’ai cherché du travail en vain. Il y avait alors la possibilité d’avoir internet chez soi. Je me suis intéressée à l’infographie. Je faisais des montages avec les photos que je trouvais sur le net. Je me suis lancée dans l’infographie de manière artistique, puis c’est devenu commercial. En 2012, une amie m’a offert un appareil photo, un petit compact. Elle me disait que je devais prendre des photos par moi même. Cette année, il y a eu la création d’un club-photo que j’ai intégré. On faisait les samedis de la photo. Je me suis aussi formée via internet et dans des ateliers comme celui d’Alger – le stage NACFA- consacré au photo-journalisme. Il y a eu aussi les rencontres et les résidences qui ont contribué à ma formation. J’ai alors laissé tomber mon travail pour me consacrer à la photographie.

En 2019, vous avez aussi été admise à Paris pour une résidence artistique
Oui, c’était une résidence de trois mois, d’octobre à décembre, à la Cité des Arts de Paris. J’ai beaucoup appris et évolué pendant cette période. Il y avait plein d’événements (expositions, festival, rencontres, galeries…) à Paris. Je n’ai pu qu’en profiter. J’ai acheté des ouvrages que je ne trouvais pas en Algérie. Une grande partie de ma bourse, je l’ai mise dans des livres.

Qu’avez vous appris de concret ?
En tant qu’artiste, on travaillait de manière libre sur le projet de candidature à Cité des Arts. L’administration de la Cité nous aidait à avoir des contacts, à être présents dans des festivals pour des vernissages en VIP. Cela m’a ouvert beaucoup de portes. Cela m’a aussi permis de rencontrer des maitres de la photo. J’ai assisté à une master class à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) avec la regrettée Sabine Weiss (ndlr, la Franco-Suisse est décédée le 28 décembre 2021). J’ai aussi rencontré Sebastião Salgado lors d’une dédicace. C’était quelque chose pour moi. C’était des rêves qui se réalisaient.

Comment définiriez votre style ?
Je suis dans la photo-documentaire. Je fais beaucoup de noir et blanc. Beaucoup personnes disent reconnaitre tout de suite mes photos que je ne signe jamais.Comme j’expérimente des choses, je pense que mon style change. Quand j’étais à la Cité des Arts, je suis partie avec l’idée de faire du noir et blanc à la Doisneau. A Paris, c’était la période de Noel avec ses vitrines colorées et ses lumières et son ambiance festive. Je suis finalement revenue avec une série en couleur. C’était tout à fait différent de ce que je faisais avant.

A défaut de style, vous compare-ton à des photographes célèbres ?
Je n’oserais pas me comparer à des photographes célèbres. En revanche, je m’inspire beaucoup des écoles classiques comme celles de Robert Doisneau, de Cartier Bresson, de koudelka, de Sabine Weiss, de Salgado…

Qu’est ce qui vous intéresse de photographier ?
C’est l’humain. Je suis une photographe humaniste. Un paysage sans présence humaine ne m’intéresse pas vraiment. Je ne suis ni dans la photo de paysage, ni dans la photo de mode. Je fais des portraits mais cela rentre dans mon travail documentaire. Je suis obsédée par le fait de capturer le temps. Je photographie beaucoup les choses de notre culture et de notre patrimoine qui sont en voie de disparition. Cela peut être des monuments ou des personnes.

Les Jeux Méditerranéens d’Oran qui vont se dérouler en juin et juillet prochains ont-ils changé le visage de la ville?
Pas vraiment. Ils ont construit un stade et restauré une piscine, et peut être d’autres infrastructures. Je photographie surtout le vieil Oran. La ville en elle même ne m’intéresse pas beaucoup. Je suis possédée par l’idée de documenter, d’immortaliser et d’archiver Sidi El Houari qui n’est pas du tout concerné par les Jeux Méditerranéens. Ils mettent en valeur l’itinéraire des Jeux, du front de mer jusqu’au stade.

Vous aimez immortaliser votre ville de nuit. Est elle différente de celle du jour ?
Elle est plus belle et vivante la nuit. Oran est une ville nocturne. Les Oranais aiment bien circuler le soir. On a le marché de la Bastide qui est ouvert jusqu’à 22 heures, je crois. Quand j’ai l’occasion de la photographier le soir, je n’hésite pas.

Si vous deviez qualifier Oran en quelques mots.
Elle est joyeuse, dynamique et vivante. Elle a une culture arabe-musulmane, espagnole, française. C’est la ville du vivre ensemble qui accueille tout le monde à bras ouverts.

Vous avez dit dans un entretien précédent qu’Oran était le refuge des photographes. Pourriez vous développer ?
On a un événement important qui est Les Journées de la photo.Il permet aux photographes de se rencontrer. Tout cela a pris de l’ampleur en 2012 avec la création du club-photo. Avant cette date, les photographes étaient à Oran mais ne s’affichaient pas.Le club nous a permis de nous rencontrer, de créer des événements (conférence, expo…). avec des gens de Laghouat, d’Alger, de France et de faire des sorties en groupe. Les gens ont commencé à s’habituer aux photographes dans la rue. C’est ce qui m’a poussé à dire qu’Oran était le pôle des photographes. Les Journées de la photo sont à mes yeux le seul événement important et qui a de la valeur en Algérie. Dans les autres villes, ce sont des salons à l’initiative des Maisons de la culture qui abordent toujours sur les mêmes thèmes liés au patrimoine ou aux fêtes nationales.Cela n’évolue pas.

Qui organise les Journées de la photo ?
C’est l’Institut Français d’Oran en partenariat avec Iso club. C’est avec lui que j’ai commencé. Je suis membre co-fondateur de ces journées, mais je n’y suis plus depuis 2018.

Les gens se sont familiarisés avec les photographes mais d’un autre coté, vous dites que c’est risqué de prendre des photos en Algérie. Comment expliquer ce paradoxe ?
Pratiquer la photo de rue en Algérie est difficile. Les agents de police peuvent vous confisquer votre appareil. Il faut faire attention à ne pas photographier ceci ou cela. C’est un peu compliqué. Dans ma ville, je sais comment circuler pour prendre des photos.

Est-ce plus contraignant pour une femme ?
Pas du tout. Parfois, c’est plus pratique pour une femme. Elle arrive à entrer dans les maisons. Elle est la bienvenue chez des familles. C’est plus accessible que pour un homme.

Il y a quelques semaines, vous étiez au Centre culturel français, Jean Rouch, pour présenter votre projet commun avec Apsatou Bagaya. Comment l’idée de ce regard croisé entre les villes d’Oran et de Niamey a germé ?
Pendant le confinement, Jean-Michel Neher, le directeur du Centre culturel français de Niamey (CCFN) – que je connais et avec lequel j’avais déjà organisé une exposition photo sur Oran à la Charité sur Loire – m’a appelé pour me demander si cela m’intéressait d’exposer à Niamey et de croiser mon regard avec une photographe Nigérienne. J’ai tout de suite accepté. Cela s’est fait en 15 jours dans l’urgence. C’était pendant le Ramadan. Malgré la difficulté pour obtenir les visas, on s’est battus pour le faire. Je suis arrivée là bas le 12 mai pour un vernissage le 13 mai qui est la journée de la femme nigérienne. C’est une date symbolique.C’était important de faire le vernissage ce jour là.

Oran est en bord de mer tandis que Niamey est dans une région quasi désertique. Quel était l’idée de départ alors que les deux cités ne se ressemblent pas vraiment ?
L’objectif était de croiser le regard sur deux villes africaines différentes. L’une méditerranéenne et l’autre de l’Afrique profonde. J’ai découvert Niamey à travers les photos d’Apsatou Bagaya et vice versa. Malheureusement, à cause de la chaleur je n’ai pas pu faire beaucoup de photos sur le Niger. Je ne me déplaçais qu’en voiture. Je ne suis sortie que la veille de mon départ pour aller du coté du fleuve Niger. Je n’y suis restée que deux heures car je me suis évanouie en raison de la canicule. Peut être que je viendrais entre novembre et décembre pour une résidence. On travaille sur l’idée d’une résidence croisée.C’est mon souhait.

Quelle a été la première sensation que vous avez eue en posant le pied dans ce pays ?
La chaleur (rires). Les gens sont très accueillants.J’ai aussi remarqué qu’il y avait des lézards partout.

Qu’avez vous appris de cette ville qui ne fait jamais l’actualité ?
C’est un beau pays, riche en culture et en artisanat, mais la vie est difficile au Niger. J’ai rencontré des écrivains, des photographes dont deux Français installés sur place. L’un d’eux, Maurice Ascani y est depuis 1968. Il a un studio photo. Il a photographié tout le Niger. Il a beaucoup d’archives. C’est impressionnant. J’ai essayé de compenser le peu de sorties dans la ville par des rencontres avec des gens, des écrivains, par des pièces de théâtre. Il y a eu une foire sur les industries culturelles avec des peintres, des artistes, des musiciens. J’ai découvert tout cela.

Dzair World, 11/06/2022

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