L’Espagne a affrété un avion pour vite délivrer Benhlima

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Le calvaire de Benhlima, le militaire expulsé par la Grande-Marlaska et condamné à mort en Algérie.


– Le ministre de l’Intérieur a affrété, pour la première fois, un avion pour délivrer rapidement le caporal et YouTuber algérien. Il tente ainsi d’apaiser la colère d’Alger contre le PM Sánchez, qui s’est aligné sur le Maroc dans le conflit du Sahara occidental.

« L’État a détruit ma vie. Des choses me sont arrivées à la police de Saoula. Je ne vais pas les évoquer aujourd’hui. Je suis jugé pour les mêmes faits dans 19 tribunaux, sans compter le procès militaire de Blida qui m’a condamné à mort ». Dans sa dernière intervention, le 8 mai, devant le tribunal de Bir Mourad Raïs (Alger), le caporal Mohamed Benhlima, 32 ans, a laissé tomber qu’il avait été torturé et a révélé qu’il avait été condamné à mort « par contumace » par un tribunal militaire. Benhlima, un militaire, a été jugé au début du mois pour  » diffusion de fausses informations mettant en danger la sécurité et l’intégrité territoriale du pays ; atteinte aux intérêts supérieurs du pays et violation de la vie privée « . Le bureau du procureur a requis 10 ans de prison et la sentence sera annoncée, en principe, le 22 mai.

Ce procès est la répétition d’un autre qui s’était déjà tenu lors de son exil en Espagne et qui avait abouti à une peine de 10 ans. Celui qui s’est déroulé devant le tribunal militaire de Blida devrait aussi, en théorie, être répété.Si Benhlima s’est assis sur le banc de touche la première semaine de mai, c’est parce que le ministère espagnol de l’Intérieur l’a expulsé le 24 mars. Le ministre Fernando Grande-Marlaska l’a fait dans un délai extraordinairement court et a affrété un avion Iberia pour le transférer du centre de détention étranger (CIE) de Zapadores (Valence) au petit aéroport de Chlef. Les immigrants algériens en situation irrégulière sont toujours rapatriés par bateau depuis Alicante et Almería, mais dans le cas de Benhlima, plusieurs exceptions ont été faites, l’une d’entre elles consistant à recourir à l’avion. « Il n’y avait pas le temps d’attendre le prochain bateau » pour l’Algérie, assuraient des sources officielles de l’Intérieur en mars pour expliquer la précipitation. Ce navire qui a mis tant de temps a pourtant appareillé le 2 avril d’Almería à Ghazaouet avec une poignée de  » sans-papiers  » à bord.

La rapidité de Grande-Marlaska – il a pris la décision d’affréter lui-même l’avion – était une tentative d’atténuer la colère de l’Algérie envers le gouvernement espagnol. Le 18 mars, la lettre du Premier ministre Pedro Sánchez à Mohamed VI a été rendue publique, s’alignant sur le Maroc dans le conflit du Sahara occidental. Le lendemain, Alger a convoqué Said Moussi, son ambassadeur à Madrid : « Il faut noter que l’expulsion a eu lieu dans un contexte de guerre où l’Espagne avait besoin du gaz de l’Algérie et venait aussi de soutenir l’autonomie proposée par le Maroc » pour résoudre le conflit du Sahara Occidental, a expliqué Adrián Vives, porte-parole de l’association CIEs au journal valencien « Levante ». Le geste d’apaisement de l’ancien juge de la Cour nationale avec Alger n’a pas aidé.

L’Algérie a suspendu, à partir du 2 avril, le rapatriement des immigrants en situation irrégulière ; elle a cessé d’importer du bœuf espagnol, et Toufiq Hakkar, le président de Sonatrach, la grande entreprise publique d’hydrocarbures, a glissé que l’Espagne sera le client du gaz algérien dont le prix augmentera le plus. Amnesty International a confirmé dans un communiqué lundi soir qu’une condamnation à mort pèse sur la tête de Benhlima. Il y demande au gouvernement espagnol de faire pression pour que la condamnation soit annulée, question sur laquelle la porte-parole de l’exécutif, Isabel Rodríguez, a affirmé, mardi 17, qu’elle n’était pas au courant. Deux députés, Joan Baldoví (Compromís) et María Dantas (ERC), ont demandé la comparution de Grande-Marlaska pour expliquer les raisons de cette déportation.

L’ONG de défense des droits de l’homme a également envoyé une lettre au président algérien, Abdelmajid Tebboune, dans laquelle elle l’exhorte à annuler cette condamnation à mort « pour espionnage et désertion ». Bien que le tribunal militaire de Blida, une ville située à 45 kilomètres au sud-est d’Alger, confirme la condamnation à mort de Benhlima après un nouveau procès, il ne sera pas exécuté. L’Algérie applique un moratoire et aucun prisonnier n’a été exécuté depuis 1993. Les personnes condamnées à mort purgent souvent une peine de prison à vie. Amnesty assure que, « selon les informations qu’elle a obtenues, à son arrivée en Algérie, les forces de sécurité ont agressé physiquement Benhlima. » Cela confirme l’accusation voilée de torture que le caporal algérien a formulée devant le tribunal. Son voyage en Algérie depuis son expulsion a été une via crucis, selon l’ONG et la déclaration de son avocat, Abdelkadir Chohra, devant les juges.

De Chlef, l’aéroport où il a atterri, « il a été transféré par la police à Saoula, où il a été enregistré sans en être informé », a déclaré Chohra. « Ensuite, ils ont diffusé ses déclarations [à la télévision] et l’ont emmené à El Harrach [la prison d’Alger], mais deux jours plus tard, ils l’ont remis à la sécurité militaire », qui a dû le conduire à la prison militaire de Blida. Chohra, célèbre défenseur des prisonniers d’opinion, a été arrêté samedi dernier en même temps que l’opposant et homme d’affaires Rachid Nekkaz. Benhlima est arrivé en Espagne en septembre 2019 avec un visa, mais lorsque celui-ci a expiré, il a demandé l’asile en février 2020 au bureau de Saint-Sébastien. Sa demande a été rejetée. Il est devenu YouTuber et sur sa chaîne, qui comptait 155 000 followers, il dénonçait la corruption dans l’armée et dans les élites dirigeantes en Algérie. Il n’a jamais prôné la violence. Il a tenté sa chance en France et au Portugal, mais l’asile y a également été rejeté car il doit être demandé dans le premier pays de l’UE que le demandeur d’asile foule.

À la mi-mars, il a été arrêté à un barrage routier soi-disant fortuit pour avoir enfreint la loi sur l’immigration et transféré au CIE de Valence. Là, il a réussi à enregistrer secrètement une dernière vidéo avec son téléphone portable dans laquelle il dit à voix basse en espagnol : « Je veux demander à MM. Marlaska et Pedro Sánchez de revoir leurs décisions et de me sauver la vie. » « L’Algérie est un pays de dictateurs qui n’acceptent pas d’autres opinions », leur a-t-il rappelé. Conseillé par Amnesty International, la Commission espagnole d’aide aux réfugiés et le CIEs No, il a de nouveau demandé l’asile au CIE, mais 72 heures plus tard, sa demande a été rejetée pour, entre autres raisons, être « un danger pour la sécurité nationale ». Dès qu’il a été informé de la résolution négative de sa nouvelle demande, il a été conduit à l’aéroport, gardé par une demi-douzaine de policiers espagnols qui ont embarqué avec lui pour Chlef.

Les autorités algériennes avaient demandé son extradition -Grande-Marlaska a opté pour l’expulsion afin de le remettre plus rapidement- pour appartenance et financement d’un groupe terroriste mettant en danger la sécurité de l’Etat et l’unité nationale. Le groupe en question est Rachad, un mouvement islamiste modéré et non violent qui ne figure pas sur la liste des organisations terroristes de l’UE. Son chef, Larbi Zitout, un diplomate à la retraite, réside à Londres. Aucun pays européen n’a expulsé de membres de Rachad, à l’exception de l’Espagne. Au cours du procès, Benhlima n’a pas reconnu son appartenance à Rachad, mais il a admis avoir échangé des messages avec Zitout.

Benhlima est le deuxième militaire algérien expulsé vers son pays. L’ancien gendarme Mohamed Abdallah a été le premier, le 21 août, à bord d’un ferry. Il était arrivé dans une petite embarcation en septembre 2018 avec sa femme et son fils, que le ministère de l’Intérieur a bien autorisé à rester en Espagne. Il est également devenu « youtubeur » et sur sa chaîne, qui compte 265 000 adeptes, il a fait des dénonciations similaires sur la corruption qu’il affirme avoir vue de près lorsqu’il était en poste à la frontière avec la Tunisie. Abdellah a été condamné, en mars, par le tribunal de Bir Mourad Raïs à six ans de prison pour appartenance à une organisation terroriste, à savoir Rachad.

Le parquet avait requis 20 ans.La Grande-Marlaska a également répondu à une demande de remise de Rabat, celle de l’activiste sahraoui Hussein Bachir Brahim. Celui-ci a débarqué d’un petit bateau, en janvier 2019, à Lanzarote, mais il n’a même pas pu demander l’asile. Une semaine plus tard, il était de retour au Maroc. La cour d’appel de cette ville l’a condamné, en novembre de la même année, à 12 ans pour le meurtre d’un jeune homme lors d’une bagarre entre étudiants marocains et sahraouis sur le campus de l’université. L’activiste a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés, et ses avocats ont fait valoir pendant le procès qu’il n’existait aucune preuve à l’appui de l’accusation.

Le calvaire de Benhlima, le militaire expulsé par la Grande-Marlaska et condamné à mort en Algérie.

Source : El Confidencial, 18 mai 2022

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