Adhésion du Maroc à l'Union africaine: Lobbying et guerre de tranchées à Addis-Abeba

Mahdi Boukhalfa
Publié dans Le Quotidien d’Oran le 30 – 01 – 2017
  Les travaux du 28ème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, qui démarrent ce lundi dans la capitale éthiopienne, seront dominés par l’examen de la demande d’adhésion du Maroc, formulée lors du dernier Sommet de Kigali (Rwanda). 
Tous les observateurs suivent ce dossier depuis le dernier Sommet, car de l’issue du vote de la Commission africaine dépendra l’avenir de l’Organisation. En fait, si le Maroc réintègre l’UA sans condition préalable, après avoir quitté son ancêtre l’OUA, ne pouvant accepter que la RASD soit reconnue par les pays africains, il admet que même si le Sahara occidental est un territoire non autonome, il ne peut être représenté par deux Etats.
Le Maroc occupe depuis 1975 ce territoire en dépit des appels de la communauté internationale et du référendum d’autodétermination de l’ONU que Rabat refuse d’appliquer. Car si la République arabe sahraouie démocratique (RASD) est un Etat reconnu par l’UA et siège en tant que membre à part entière au sein des institutions de l’Organisation, l’entrée du Maroc qui occupe le Sahara occidental va bouleverser le fonctionnement de l’Union. Pour défendre son droit à une admission au sein de l’UA, le Maroc a redéployé sa diplomatie depuis plusieurs mois, alors que le roi Mohamed VI a fait le déplacement vendredi à Addis-Abeba. Le gouvernement marocain, pour se conformer aux lois et règlements de l’Union africaine en matière d’adhésion d’un Etat tiers, a ratifié en un temps record, moins de deux semaines, le projet d’acte constitutif de l’UA. Ce projet de loi avait été adopté début janvier 2017 à l’unanimité par les deux Chambres du Parlement et publié au Bulletin officiel du 20 janvier 2017. Une prouesse parlementaire, alors que le Maroc n’a pas de gouvernement depuis la publication des résultats des élections législatives du 7 octobre 2016. Le gouvernement désigné d’Abdelilah Benkirane, qui peine à former une majorité, a examiné ce projet de loi et l’a adopté par décret, puis soumis à un Parlement où la Commission des Affaires étrangères a été montée de toutes pièces, ainsi que la désignation dans la précipitation d’un président du Parlement, le socialiste Habib El Malki. Bref, à Rabat, tout a été fait pour que l’acte constitutif de l’UA soit adopté avant la tenue du 28ème Sommet. La vraie bataille va ainsi se décider sur place, dans les travées du Sommet à Addis-Abeba, entre les partisans du Maroc, qui veulent retirer leur soutien à la RASD, et les légalistes, qui tiennent à ce que l’Union reste forte, ‘’indivisible », et fonctionne selon ses règlements.
Pourquoi ? Parce qu’au dernier Sommet de Kigali, lors de la présentation officielle de la demande d’admission de Rabat, le roi du Maroc s’est fendu d’un message hautain et blessant autant pour l’UA que pour la RASD, et confirmé ses visées expansionnistes au Sahara occidental. Dans cette lettre le monarque écrit notamment que «le Maroc, qui a quitté l’OUA, n’a jamais quitté l’Afrique. (…) De l’admission de la RASD en 1982, l’histoire retiendra cet épisode comme une tromperie, un détournement de procédures, au service d’on ne sait quels intérêts.
Un vote décisif
Un acte comparable à un détournement de mineur, l’OUA étant encore adolescente à cette époque». Il ajoute: « Comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse, j’en suis certain, tout le monde la connaît, et s’impose d’elle-même. Le temps est venu d’écarter les manipulations, le financement des séparatismes, de cesser d’entretenir, en Afrique, des conflits d’un autre âge (…) l’UA resterait-elle en déphasage avec la position nationale de ses propres Etats membres, puisqu’au moins 34 pays ne reconnaissent pas ou plus cette entité ? Même parmi les 26 pays qui s’étaient placés dans le camp de la division en 1984, seule une stricte minorité d’une dizaine de pays subsiste», qualifiant au passage la RASD d’Etat «fantôme». Il est donc clair que le déplacement de Mohamed 6 à Addis-Abeba est calculé pour faire pencher la balance de son côté, sinon à perturber les travaux du Sommet et semer la division au sein de l’Organisation. En fait, le principal ordre du jour de ce Sommet sera l’examen de la demande d’adhésion du Maroc.
La présidente sortante de la Commission africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, a confirmé de son côté que la demande d’adhésion du Maroc était inscrite à l’ordre du jour des travaux du Sommet de l’UA et qu’il revient donc aux chefs d’Etat et de gouvernement africains de décider des suites à donner à cette demande. Selon un des vice-présidents de la Commission africaine, Erasmus Mwencha, la procédure d’admission doit être respectée. «Le Maroc doit manifester sa volonté de réadmission, il y a ensuite réunion et vote. L’admission se fait à la majorité simple», a t-il expliqué à des journalistes.
Pour son admission à l’UA, un pays doit recueillir une majorité simple d’avis favorables. Mais, ce vote pourrait être contrarié ou remis en cause par un Etat lors des débats de la plénière prévue ce lundi, même si beaucoup de pays africains ont déjà assuré le Maroc de leur soutien. Mais, le gros du problème pour les chefs d’Etat et de gouvernement présents à ce 28ème Sommet sera de régler ce problème d’une manière ou d’une autre, sans que la RASD, membre à part entière de l’UA, n’en soit concernée ou incommodée, car deux pays ne peuvent représenter un même territoire et siéger en même temps à l’UA. Tout dépendra en fait des élections pour le renouvellement de la présidence de l’UA, Mme Dlamini-Zumla ne briguant pas un second mandat. Rabat compte, pour appuyer sa demande d’adhésion, sur l’élection de l’un des cinq candidats en lice, les chefs de la diplomatie du Botswana, Pelonomi Venson-Moitoi, de la Guinée équatoriale, Agapito Mba Mokuy, du Tchad Moussa Faki Mahamat, du Kenya Amina Mohamed, et le sénégalais Abdoulaye Bathily (70 ans), plusieurs fois ministre et actuel représentant spécial du secrétaire général de l’Onu pour l’Afrique centrale.
L’ordre du jour de la 28ème conférence des chefs d’Etat
et de gouvernement de l’UA examinera par ailleurs le chapitre de la réforme de l’UA, qui «ne doit pas toucher aux principes fondamentaux mais concernera le fonctionnement technique de l’organisation». Dans une déclaration à la presse, le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Ramtane Lamamra a affirmé que les propositions de réforme de l’Organisation, faites par le président rwandais Paul Kagame, chargé l’année dernière du dossier de la réforme de l’UA, que «ces propositions seront débattues pour voir quelles sont les idées qui seront adoptées». «Ces réformes sont d’ordre pratique ; beaucoup plus technique que politique car le cadre politique est satisfaisant», estime M. Lamamra selon lequel «il ne s’agit pas d’une réforme fondamentale qui devrait toucher les objectifs et les principes mais il s’agit de voir le fonctionnement en terme de structure pour trouver ce qu’il y a à améliorer». Le ministre a fait remarquer que «le Conseil de paix et de sécurité (CPS) n’est pas mentionné dans l’acte constitutif, mais on a eu le protocole d’Addis-Abeba qui a été ajouté à l’acte constitutif». «Maintenant que l’expérience a prouvé que le CPS est un organe essentiel, des dispositions vont certainement entrer dans l’acte constitutif», a-t-il ajouté. Enfin, il y aura des élections pour le renouvellement de certains organes de l’UA, dont le CPS, présidé par M. Mokhtar Chergui, candidat à sa propre succession.

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