L’Algérie, une puissance régionale de premier plan

Un souvenir, un regret

Il est bien difficile en France de traiter de l’Algérie de manière totalement extérieure et dépassionnée. La guerre d’Algérie, la violence de la rupture après cent trente ans de colonisation, les exactions, les départs forcés, la mémoire de la domination, l’impact du conflit sur la société française restent des blessures ouvertes. Il en est de même en Algérie, où le souvenir de la France est très vivace, obsédant, constamment ravivé par la présence au sein de l’ancienne puissance coloniale d’un nombre croissant d’Algériens ou de binationaux, par la continuité d’échanges multiples entre les deux sociétés. Les générations ont passé, la guerre d’Algérie est une mémoire vive et à beaucoup d’égards elle n’est pas terminée.

Mémoire vive, mais aussi mémoire en partie refoulée et latente. Quels Français d’Algérie ou leurs descendants ne gardent pas la nostalgie de ce qui fut leur pays, dont ils furent chassés ? Quels sont ceux qui y ont vécu, même temporairement, qui ne conservent pas l’amitié de son peuple et l’admiration de ses paysages ? Quant aux Algériens, combien ne considèrent-ils pas la France comme un pays qui leur est proche, pour le pire et le meilleur ? Le pire, la conquête brutale, l’injustice de la discrimination, les massacres de la guerre de libération. Le meilleur, la langue et la culture dont elle est le véhicule, les valeurs mêmes que la colonisation a trahies, l’attraction exercée par ce qui reste un pays d’accueil pour nombre d’entre eux.

Dans Le  Joli Mai, film témoignage de Chris  Marker tourné en  1962 1 , un jeune Algérien vivant en France, militant pour l’indépendance et inquiété pour son engagement, déclare : « La France est notre mère. C’est une mère sévère, mais c’est notre mère. » Qu’est-il devenu ? Peu d’Algériens, sans doute, accepteraient aujourd’hui cette position. Le ressentiment l’emporte, même si l’attirance reste forte. Sans doute faut-il distinguer entre État et société. L’État algérien tient la France en méfiance et en fait volontiers le bouc émissaire de difficultés internes. La société est plus ambiguë, et la fierté nationale, très forte, va souvent de pair avec un sentiment de familiarité à l’égard des Français. Au fond, même tendues, les relations francoalgériennes demeurent des relations de famille.

Voici plus d’un demi-siècle que l’Algérie est indépendante. C’est beaucoup au regard d’une vie humaine, c’est peu au regard de l’histoire. Le Maghreb, l’Afrique, le monde ont beaucoup changé. D’environ neuf millions d’habitants en 1962, l’Algérie est par exemple passée à plus de quarante millions, plus que quadruplant sa population. Nombre de données se sont cependant imprimées durablement dès la naissance de l’État algérien. Il reste dominé par les traits qui ont marqué sa création. Problèmes de construction de l’État et de la nation, d’équipement et de développement, volonté d’indépendance, de répudiation totale du régime colonial, d’affirmation sur la scène internationale… En même temps, la brève histoire de l’Algérie a été mouvementée et cruelle, comme si la guerre originelle comportait récurrences ou menaces permanentes. Le pays est devenu une puissance régionale de premier plan, mais il est toujours sous pression

Une puissance régionale de premier plan

L’Algérie est le plus grand pays d’Afrique, le plus peuplé et le plus puissant des pays de l’ancien empire colonial français du continent, la seconde population arabe après l’Égypte, un verrou contre le terrorisme. Elle affirme fortement son identité arabo-islamique. Elle est animée par une permanente volonté d’indépendance diplomatique et stratégique. Chacun de ces éléments comporte ses défis et contraintes. Dans une région marquée par une instabilité croissante, le pays apparaît comme un pôle de stabilité, tout en restant sous une menace extérieure diffuse et difficile à maîtriser.

Une position unique en Afrique

Le gigantisme du territoire algérien, surtout par rapport à ses voisins immédiats du Maghreb, doit être mis en relation avec l’étroitesse de son espace fertile et peuplé, une large et profonde bande côtière au bord de la Méditerranée occidentale. Le Sahara est loin d’être sans ressources. Il est à l’inverse riche en hydrocarbures, mais son immensité, ses frontières ouvertes sur des voisins dont beaucoup sont fragiles et pour certains défaillants – Tunisie, Libye, Niger, Mali, Mauritanie, Maroc et la République arabe sahraouie démocratique (RASD) du Front Polisario, que l’Algérie seule reconnaît et soutient fermement – sont autant de défis sécuritaires pour le pays. Le Sahara est entre autres choses le chemin de multiples trafics criminels et de migrations incontrôlées en provenance de l’Afrique subsaharienne. En revanche, l’importance de la population algérienne dans son environnement régional, environnement qui plus est francophone pour l’essentiel, au moins pour les catégories dirigeantes, est un élément d’influence que le pays ne met peut-être pas suffisamment à profit.

L’Algérie dispose aussi de la deuxième armée du continent, avec ses composantes terrestres, aériennes et maritimes. Son équipement s’alimente à des sources variées – Russie, Chine, pays européens – avec un grand souci de diversification et un effort de développement national d’une industrie de défense. Le lien entre politique de défense et politique étrangère servie par un réseau diplomatique de qualité est puissant, le souci de cohérence constant, ce qui est un signe parmi d’autres du poids de l’armée dans le pays. Aussi bien le partenariat avec l’Algérie est-il recherché, même s’il est incommode en raison d’un souverainisme sourcilleux, et toujours incertain du fait de l’opacité du pouvoir et de son goût pour les menées souterraines. Un souci, le Maroc, l’autre grande puissance du Maghreb, pays frère et rival dont les principes internes et internationaux lui sont opposés – une monarchie à fondement religieux, un enracinement occidental marqué. Mais surtout, considération géopolitique, affleure le désir algérien d’avoir un accès à l’Atlantique, dont la RASD serait l’instrument.

Un verrou contre le terrorisme

L’Algérie a un lien ancien avec le terrorisme, puisque le Front de libération nationale (FLN) y a largement recouru lors de la guerre d’indépendance, avant le terrorisme suicidaire de l’Organisation armée secrète (OAS) – un terrorisme qui a frappé les institutions publiques, les populations civiles sur place comme en métropole. Sans doute la stratégie du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) a été autant sinon plus politique et diplomatique que terroriste. Elle a en outre bénéficié d’un soutien croissant de la population musulmane, mais enfin, avant même que le terrorisme palestinien ne se réclame d’une cause légitime, le mouvement de libération algérien s’en est fait le parangon. Il a appelé des mesures coercitives rigoureuses de la part du colonisateur, sécuritairement efficaces, à ce point que le film La Bataille d’Alger, qui présente les méthodes contre-terroristes de l’armée française, est devenu quelques décennies plus tard comme un manuel d’instruction pour les armées occidentales, en Afghanistan et en Irak. Son analyse montrait ce qu’il convenait de faire et de ne pas faire.

Avant cette rédemption douteuse, dans la décennie 1990, c’est l’Algérie elle-même, par un choc en retour, qui était frappée par un terrorisme islamique intérieur, celui du Groupe islamique armé (GIA). Il a été la préfiguration d’une expansion plus internationale au début du XXIe  siècle jusqu’à aujourd’hui, dont l’origine est davantage moyen-orientale et qui tend à se diffuser dans divers continents, dont l’Afrique. L’Algérie semble avoir éradiqué son terrorisme intérieur et permis la réconciliation au prix de certaines concessions, mais paie toujours le prix d’une arabisation trop rapidement et mal conduite. Elle a chassé du pays nombre d’intellectuels francophones, elle a permis l’influence au sein de la jeunesse de mouvements religieux radicaux qui ont fait le lit des groupes terroristes. Dans la lutte contre eux, l’armée a recouru aux mêmes méthodes que l’armée coloniale, aux mêmes exactions, aux mêmes brutalités, de façon plus souterraine et moins critiquée. La disparition de la menace intérieure n’a pas pour autant éliminé l’instabilité aux frontières et les dangers qui en résultent pour le pays.

L’Algérie est en effet enserrée par des menaces terroristes, qu’elles proviennent de la Tunisie, de la Mauritanie, des pays du Sahel subsaharien, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Daech qui s’implante en Libye. La circulation autour voire à l’intérieur des frontières, la prolifération dans ces espaces des armes de petit calibre liées à l’intervention récente en Libye, la faiblesse des États voisins, toutes ces données créent une tension permanente dans l’environnement immédiat du pays et même en son sein. Dans ces conditions l’Algérie, de par sa position géopolitique, de par sa politique sécuritaire et son poids militaire, apparaît comme un partenaire indispensable et précieux contre des mouvements nomades, fluides et fugitifs, qui frappent, détruisent, tuent, rançonnent et s’évanouissent avant de resurgir un peu plus loin. Les puissances occidentales qui interviennent au soutien des États affectés ont besoin du concours logistique de l’Algérie, des facilités qu’elle accorde, des appuis militaires discrets qu’elle donne. C’est le cas pour la France au Mali, tandis que les États-Unis participent à la surveillance au et du Sahara.

Une volonté d’indépendance

L’indépendance semble consubstantielle à l’Algérie depuis les conditions de sa naissance en tant qu’État. Elle s’est d’abord exercée à l’encontre de la France, dont les liens résiduels prévus par les accords d’Evian n’ont pas résisté longtemps après le départ massif des Européens. Elle a conduit à prendre rapidement la maîtrise du territoire par l’évacuation des dernières bases militaires françaises, puis des ressources en hydrocarbures avec la création de la Sonatrach en 1963 et la dénonciation en 1971 d’un accord bilatéral sur l’exploitation du pétrole. Cette conception sourcilleuse de l’indépendance diversifie les partenariats, mais rejette toute participation à une alliance militaire voire à une coalition organisée, dans l’esprit du non-alignement qui a été le maître mot des pays du tiers-monde dans la suite de la décolonisation. L’Algérie tirait alors son prestige d’une indépendance conquise et non octroyée, et apparaissait comme un phare politique et diplomatique en Afrique.

Le rayonnement algérien s’est notamment exprimé avec la thématique du nouvel ordre économique international (NOEI) qui visait à compléter l’indépendance politique par un rééquilibrage des relations économiques au profit des pays récemment indépendants, en développement. Cette thématique a agité les débats de l’Assemblée générale de l’ONU et de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED, 1964). Droit au développement, droit du développement, inégalité compensatrice étaient des formules très en vogue. L’Algérie, avec notamment Mohammed Bedjaoui, éminent juriste 3 , a joué un rôle de premier plan dans la promotion du NOEI. Il a culminé en 1974, avec la Charte des droits et devoirs économiques des États, grande résolution déclaratoire de l’Assemblée générale. Auparavant, en 1962, elle avait reconnu la souveraineté permanente des États sur leurs ressources naturelles, ouvrant la voie à diverses nationalisations. Le droit du développement était appuyé par l’URSS et les démocraties populaires, auxquelles il ne coûtait rien.

L’Algérie indépendante n’était pas pour autant d’obédience communiste, contrairement aux craintes réelles ou feintes de certains. Elle était avant tout nationaliste, et collectiviste sur le plan économique. Elle regardait en outre avec faveur du côté des États-Unis, qui avaient soutenu son indépendance. Cela ne la dirigeait nullement vers un rapprochement poussé et, suivant la formule du président Boumédiène, l’Algérie n’avait pas rejeté le petit colonialisme français pour tomber sous le grand impérialisme américain. Le non-alignement dont elle se réclamait gardait ses distances. Toute cette thématique, droit du développement et, il faut bien le dire, non-alignement, a sombré avec la chute du mur de Berlin. Économiquement, le collectivisme a échoué, le NOEI a été remplacé par l’économie de marché et la mondialisation. Politiquement, le modèle soviétique de gouvernement est apparu comme un immense désastre historique, et les pays qui s’en inspiraient ont dû chercher d’autres formules, même si certains d’entre eux ont été confrontés à l’affaiblissement voire à la défaillance de leur État.

Tel n’a pas été le cas de l’Algérie, qui a surmonté de grandes vicissitudes internes sans changer ses principes d’indépendance. Ils la conduisent à une posture parfois revêche. Or l’acrimonie ne fait pas bon ménage avec la diplomatie. L’Algérie a dû renoncer à transformer les rapports internationaux, même si elle conserve une préférence pour le multilatéralisme. Mais elle est confrontée à une querelle avec le Maroc qui nuit à son influence en Afrique, et elle est peu favorable au régionalisme maghrébin en dépit des déclarations. De la même manière, elle refuse de participer à l’Organisation internationale de la Francophonie, alors qu’elle y trouverait un multiplicateur d’influence. Sur le plan sécuritaire, elle n’entend pas participer à des actions armées au Yémen ou en Irak et en Syrie, alors qu’elle lutte contre le terrorisme international. Droit des peuples et non-intervention demeurent des principes organisateurs. L’ouverture est plus sensible sur le plan économique que sur le plan politique. Et, sur le plan interne, l’Algérie est un pays sous pression.

Un pays sous pression

La première impression lorsque l’on considère la situation interne de l’Algérie est celle de la stabilité, en dépit de changements démographiques considérables et d’une vie politique toujours sous le coup de la violence. En y regardant de plus près, on est frappé par l’importance des défis intérieurs, politiques, économiques et sociétaux qui maintiennent le pays sous une pression permanente.

L’apparence de la stabilité Cette stabilité n’est bien sûr que relative, elle doit être mise en regard des secousses qui ont ébranlé le pays depuis sa naissance : dès l’indépendance, accession au pouvoir par la force d’Ahmed Ben Bella, qui écarte le GPRA avec lequel avaient été conclus les accords d’Evian ; puis coup d’État de Houari Boumédiène qui renverse le régime précédent et occupe durablement le pouvoir ; puis des successions plus ou moins démocratiquement assurées jusqu’à l’interruption d’un processus électoral qui promettait d’installer des islamistes au gouvernement ; après de nouvelles péripéties dont des assassinats politiques, la présidence d’Abdelaziz  Bouteflika, qui entraîne une nouvelle période plus calme. L’Algérie parvient durant ce demi-siècle à surmonter une véritable guerre civile face à un terrorisme intérieur aux ramifications internationales. Mais la génération des moudjahidin, combattants de l’indépendance, demeure pour l’essentiel aux commandes, même si certains chefs historiques ont été progressivement éliminés par des luttes internes. S’y ajoute une administration solide, et le rôle de l’École nationale d’administration (ENA) locale permet d’associer compétence, ascension sociale et loyauté. L’État algérien est en profondeur un État solide, en dépit des fragilités inhérentes à ce type de régime, fondamentalement autoritaire.

Comment le caractériser ? Deux types de comparaison se proposent. Le premier, contemporain, est le modèle poutinien, régime nationaliste dont le ressort est la frustration après la disparition de l’URSS et la volonté de réaffirmation nationale, appuyée par un fort soutien populaire et relayée par des oligarques qui ont largement tiré profit de la privatisation des richesses collectives. Peut-être y a-t-il quelques éléments communs, notamment avec certaines formes de clanisme et de corruption 4 . La situation est cependant différente. Le président Bouteflika n’a ni le rayonnement ni l’autorité effective d’un Vladimir Poutine, et le problème de l’Algérie n’est pas de transformer un empire défunt en État-nation, il est plutôt celui du développement. Une deuxième référence possible est un modèle plus ancien, le modèle Atatürk (1923-1938), un pouvoir personnel et même personnalisé, d’apparence civile, appuyé sur un État profond dominé par l’armée, avec un souci de modernisation de la société. Là aussi, quelques éléments communs, notamment quant au rôle de l’armée, colonne vertébrale du régime, mais on peut douter de la volonté de moderniser la société, plutôt conduite à une régression traditionaliste du fait de l’arabisation et des compromis avec l’islamisme. La société civile algérienne dynamique et moderne se définit plutôt en opposition avec le régime.

Le régime algérien ne se compare pas non plus avec ceux de la Tunisie ou du Maroc. L’empreinte étatique du colonisateur, plus forte en Algérie, et les conditions violentes de la décolonisation lui ont donné des traits originaux. L’un de ceux-ci est la violence politique, une certaine dureté des rapports humains, une société sans doute plus égalitaire et plus éruptive que dans les pays voisins. Un autre, d’origine plus ancienne, tient à un pluralisme culturel et social, avec la question kabyle ou de la vallée du Mzab, qui s’ajoutent à un esprit public très politique et volontiers rebelle. Bien sûr, opacité, corruption et clanisme accompagnent le pouvoir. Ce modèle est toutefois loin d’être propre à l’Algérie, il tend même à se développer partout derrière une façade démocratique et pluraliste. Quoi qu’il en soit, l’État a dominé des périodes agitées, il a largement équipé le pays – communications, logements – et favorisé l’éducation d’une jeunesse surabondante. Il reste nombre de défis qui s’ajoutent aux menaces extérieures, le moindre d’entre eux n’étant pas la succession de l’actuel président.

Des défis pressants

● Le défi d’ordre politique est à la fois permanent et récurrent. Récurrent avec le problème de la succession du président Bouteflika. Dans une démocratie ordinaire, une telle succession ne soulève pas de difficulté et s’insère dans le fonctionnement régulier des institutions, elle est prévue et organisée par une votation authentiquement pluraliste. Dans les régimes autoritaires, elle est toujours un moment de doute et de fragilité, avec un risque de saut dans l’inconnu. Ceci renvoie à une question plus permanente, celle de la démocratie et de l’État de droit, qui sont loin d’être réalisés en Algérie. Elle a progressé dans cette voie, il existe un certain pluralisme, la liberté des médias est plus forte, mais les verrous autour du pouvoir sont toujours présents, renforcés par les menaces sécuritaires. La dévolution du pouvoir gouvernemental apparaît encore relever d’un processus opaque, et l’élection davantage une ratification qu’une décision. L’indépendance des corps intermédiaires est également sujette à caution, même si le FLN a cessé d’avoir une emprise dominante sur le pays.

● Les défis économiques sont parmi les plus pressants. Longtemps, l’Algérie a pu se reposer sur une rente pétrolière et gazière. Elle lui a dans un premier temps permis, après les avoir financés, de surmonter des choix économiques initiaux, celui des « industries industrialisantes », un collectivisme d’État aux conséquences néfastes. Puis l’Algérie, suivant le mouvement général des pays socialistes, a su passer d’une économie collectiviste à une économie partiellement de marché. On a même relevé la montée en puissance d’oligarques actifs sur le plan national comme international. La rente des hydrocarbures a enfin contribué à couvrir les besoins fondamentaux d’une population à la démographie explosive et d’investir dans les équipements de base. L’inégalité dans le partage de cette rente était ainsi moins visible. La chute récente du cours des hydrocarbures remet cet équilibre économique et financier en cause, et risque d’aboutir à un endettement croissant du pays en attendant que des alternatives puissent être trouvées, dans un pays qui refuse depuis l’indépendance le développement d’une industrie touristique, en toute hypothèse fortement menacée dans la région.

● Quant aux défis sociétaux, ils tiennent pour une part à la croissance démographique qui aboutit à ce que nombre de jeunes Algériens aspirent à l’émigration, alors que les pays européens tendent à restreindre l’immigration pour des raisons économiques autant que culturelles. Ils tiennent aussi à ce que l’Algérie est, elle-même, zone d’accueil de migrants en provenance d’Afrique subsaharienne, immigration qui ajoute à ses difficultés et dont le transit vers l’Europe est de plus en plus difficile. L’Algérie est un pays jeune et sa jeunesse semble manquer de confiance en son avenir, face à un pouvoir à la fois fermé et gérontocratique. S’y ajoute l’emprise de l’islamisme, dont la fraction insurrectionnelle a été combattue et réduite, mais dont la pression sur la société civile et les contraintes sur les mœurs, la liberté individuelle et le statut des femmes restent puissantes. Cette société civile contenue, de plus en plus instruite et ouverte sur le monde, pourra-t-elle prendre son autonomie, et comment ? Là est sans doute la clé de la réussite de l’Algérie indépendante.

Et le regret  ? Certainement pas l’Algérie coloniale, plutôt les conditions de l’accès à l’indépendance, qui aurait pu être plus pacifique et consensuelle au lieu de cet arrachement cruel pour tous. La responsabilité principale en incombe au colonisateur qui n’a pas su accepter à temps les évolutions nécessaires. Pour la France, le problème algérien s’achève le 5 juillet 1962. Pour l’Algérie, son histoire comme État commence. À cet égard, regret que les relations avec la France n’aient pas pu ensuite être normalisées, devenir apaisées et confiantes, que l’on n’ait pas réussi avec l’Algérie le type de réconciliation mis en œuvre avec l’Allemagne. La méfiance et les mésententes entre les deux pays sont à somme négative pour chacun des deux. Le fait par exemple que l’Algérie ne soit pas membre de l’Organisation internationale de la Francophonie réduit son influence dans ce qui devrait être un espace naturel d’entente et de coopération. Cette méfiance ne favorise pas non plus l’intégration en France d’une immigration massive provenant d’Algérie, qui aurait toutes raisons de se fondre dans l’ensemble national n’étaient les survivances d’un ressentiment que le temps ne semble pas effacer, quand il ne l’alourdit pas. Voici quelques années, le projet d’un traité d’amitié entre les deux pays a malheureusement échoué. Formulons le vœu qu’un jour des hommes ou femmes d’État sachent sur le métier remettre cet ouvrage.

Serge Sur

Source : Centre Thucydide, sept-oct 2016

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