La recherche de la virginité : sur les mariages algériens au Canada

La situation de l’expatrié maghrébin dans les grandes villes occidentales n’est pas un repos continu. Après avoir cherché avec plus ou moins de succès son bonheur dans les lieux de rencontre, dans les milieux branchés ou au sein de la jeunesse du pays d’accueil, il arrive souvent que l’Algérien se retourne vers sa propre culture pour lui demander de répondre à ses aspirations. Il décide alors de tourner la page des longues nuits froides passées seul sous la couverture, de rompre le rythme intermittent des histoires éphémères avec des « étrangères » ou celui de la privation longue, injuste et douloureuse des plaisirs de la chair. Dans un mouvement qui appelle le repos, il arrête définitivement sa course épuisante derrière les femmes et le bonheur…pour se consacrer à une seule personne, qui constituera le centre intime de son existence.

Mais ce centre intime censé irradier sa vie et lui donner un nouveau départ, il veut le fonder dans la confiance complète que ne procure pas la relation avec une canadienne, son comportement à ses yeux imprévisible ou sa culture souvent « incompatible » avec la sienne. « Fonder un foyer » avec une « étrangère » présenterait trop de risques. Mais surtout, sa femme à lui, il la veut aussi « pure » que possible, source d’un bonheur serein et sans taches. Cette pureté, cette femme sans histoires et sans passé honteux, où voulez-vous qu’il l’a trouve si ce n’est dans son pays d’origine ? Sa nostalgie se confond alors avec son rêve d’une jeune fille sublime, vierge et rassurante…

Arrivé à ce point, un processus s’enclenche, qu’on peut résumer de manière caricaturale en les sept étapes suivantes :

Première étape : Avec un rêve bien arrêté, notre homme débarque en Algérie pour des vacances et, presque à son insu, il provoque une rencontre avec une ravissante jeune fille (qui aspire légitimement à fuir sa situation d’échec et mat social). Bien entendu, la rencontre doit avoir l’apparence de la spontanéité et du hasard qui conviennent au romantisme obligé d’une histoire d’amour. S’ensuit une longue relation par téléphone ou msn, entre un homme et une femme qui font semblant de se connaître pour s’être déjà rencontrés. Chacun projette ses rêves dans une forme vide (l’image de l’autre qu’il ne connaît pas). Véritable cécité croisée, entretenue dans le cadre d’une illusion conservatrice. On fait semblant de ne pas voir la disproportion des statuts (un Algéro-canadien qui dispose de moyens importants, une jeune algérienne qui attend un mari pour se libérer de l’emprise étouffante de ses parents). Bien sûr, l’illusion du mariage comme solution miracle à tous les soucis existentiels est savamment entretenue par toutes les familles du Maghreb.

Deuxième étape : La nouvelle épouse arrive au Canada et, après de brefs éblouissements, le malaise commence. Peu préparée au dépaysement et à l’autonomie qu’exige sa nouvelle vie, elle est troublée au moindre contact avec les réalités canadiennes : tout l’agresse, le froid, le transport, la langue, les gens, la vie. Le changement est trop brusque. Le mari fait des mains et des pieds pour rassurer son épouse « déracinée », en proie à une anxiété parfois indescriptible. Ce travail de « pompier psychologue » se prolonge et finit, parfois, par donner de bons résultats.

Troisième étape : la nouvelle épouse est déconcertée devant la nécessité de devoir travailler. Phrase célèbre : « tu m’as ramené ici et tu n’es même pas capable de me faire vivre. » Certaines choisissent (malgré un demi-siècle de féminisme maghrébin) de rester à la maison, c’est-à-dire de devenir femmes au foyer. Un choix qui pèse sur les ressources du couple…

Quatrième étape : Fondée sur un marchandage social, cette union épuise son rêve en très peu de temps. La femme « importée » d’Algérie, n’étant pas habituée à se considérer comme l’auteure de ses choix, impute à son mari (auteur principal et père de substitution) la responsabilité de tout ce qui ne colle pas dans le couple. Il s’ensuit une remontrance permanente et informulée qui alourdit la vie en commun.

Cinquième étape : Trop absorbée par son malaise, il est rare que la nouvelle arrivante cherche à se faire des amis. Elle fait irruption plus sûrement au milieu des relations de son mari, pour les juger, les trier de nouveau et en rejeter une bonne partie. Cette « destruction du réseau relationnel » s’accompagne d’un étrange pacte. La jalousie, véritable maladie culturelle maghrébine, dicte à chacun des deux partenaires de tout simplement se délester de ses amis du sexe opposé.

Sixième étape : devant l’échec à ses yeux patent du mariage et à défaut de sauver le bonheur, la femme fait le choix de sauvegarder un mari (manière de se conformer aux attentes que fait peser sur elle son groupe social d’origine). Elle lui fait un enfant dans le dos, parfois plusieurs, pour se prémunir contre toute éventualité de divorce. L’avortement est bien entendu impensable. Phrase célèbre : « j’ai oublié de prendre ma pilule. »

Septième et dernière étape : Perte du goût de vivre, parfois déprime et envie de suicide; absence d’inventivité, de vie culturelle, moralisation extrême du quotidien, hypercorrection affective, orientation vers une résignation conservatrice et reproduction des mêmes travers sur leurs propres enfants. Phrase célèbre : « je ne vis plus que pour mes enfants. »

Remarque : ce texte à l’air de mettre l’accent plus sur la responsabilité de la femme. Mais en fait, ai-je besoin de le préciser, la totalité du processus a été enclenchée par la recherche effrénée de la virginité par l’homme, après avoir bien évidemment considéré que toutes les femmes (canadiennes) qui ont couché avant le mariage sont des « débauchées »…

La question sexuelle et les femmes au Maghreb et en Méditerranée

Le problème de la femme au Maghreb n’est qu’un épiphénomène d’un problème plus englobant qu’est la question sexuelle. Les femmes ne sont dominées que pour pouvoir être contrôlées dans leur sexualité (tout en contrôlant en même temps celle des hommes), sexualité devenue fondement de la hurma, c’est-à-dire de l’honneur féminin. La sexualité est prise en otage dans une joute sociale dont l’enjeu consiste à défendre l’honneur du groupe familial, placé d’abord dans la pudeur et la virginité féminines. Plus une Famille contrôle ses femmes, plus son capital de réputation augmente (sinon, c’est une mauvaise famille, famille de p…). Un vrai homme, qui « lève sa tête devant les gens » (je traduis des propos courants), c’est celui qui « a pouvoir sur ses femmes ». « Maîtrise tes femmes » est une insulte en collectivité.

Or, les familles sont des institutions idéologiques tout entières orientées vers le dénigrement des autres familles rivales. Il s’ensuit une compétition symbolique pour la « respectabilité », la réputation et l’honneur. Un groupe familial qui trouve moyen pour diminuer l’honneur de son adversaire ne se fait pas prier. Or, les femmes sont le point faible, la brèche que l’ennemi présente et il faut en profiter pour le descendre. « Je lui ai niqué sa femme à celui-là » disent les hommes entre eux. Et le fait de faire l’amour avec la femme du concerné n’est pas seulement un acte de plaisir ou de tendresse avec elle, c’est surtout un acte de guerre symbolique destiné à amoindrir la réputation ou, mieux, le capital d’honneur, de son mari (ou de son frère, etc.). Faire l’amour, c’est attenter gravement (et souvent délibérément) à la réputation des familles.

Le soi-disant intérêt des hommes à dominer les femmes n’est ni économique (une femme qui reste à la maison est une charge et un gain en moins), ni politique (le pouvoir que l’on a sur les « femelles » s’avère être une charge écrasante). C’est un intérêt d’honneur, le groupe défendant son image extérieure à travers l’image qu’il veut irréprochable de ses femmes.

Un tel système fonctionnait avec ses injustices dans une société agraire où l’on se mariait très tôt et où les groupes vivaient dans une économie relativement vivrière. Le changement social et économique a conduit à un accroissement des besoins. Un jeune homme ne se marie plus s’il n’a pas d’appartement. Une épouse accepte rarement d’être simple membre de la famille nombreuse de son mari. Mais le célibat prolongé, né des nouvelles données socio-économiques, continue à perdurer dans l’ancien système social traditionnel caractérisé par une économie de l’honneur dont les femmes sont les dépositaires.

Les femmes étant retirées de la circulation, l’espace public est devenu de facto masculin. Mais si un jeune homme du temps du Prophète avait ses quatre épouses, si un jeune Algérien des années cinquante avait sa femme légitime, le jeune Algérien de l’an 2000 n’a plus rien pour sa sexualité (au sens large : affection, amour, sexe, etc.) car elle lui a été confisquée sans contre-partie par l’honneur de la tribu.

Il s’ensuit une séparation terrible des sexes malgré des apparences de mixité et une famine sexuelle générale, du côté des hommes, comme du côté des femmes, enfermées ou contrôlées dans leurs déplacements. La prostitution et l’homosexualité se sont développées pour colmater une infime partie de cette demande sociale. L’état de famine générale produit des dégâts sur les enfants (pédophilie), sur les animaux (zoophilie maghrébine bien connue) et sur la santé mentale (troubles psychiatriques).

Cette société a pris le soin d’adopter le système religieux qui sert ses tendances profondes. C’est l’islam orthodoxe, sunnite et malékite, qui sera élu. Rien d’étonnant car l’islam chiite, bien qu’ayant des racines historiques lointaines au Maghreb (Fatimides), est éliminé, car jugé peu ferme en matière sexuelle : il tolère le mariage de joie, c’est à dire il légitime la sexualité entre jeunes gens, chose que la logique de l’honneur ne peut admettre. Le sunnisme lui-même est expurgé de ses points jugés incompatibles : le prophète n’a-t-il pas dans un hadith célèbre et certifié autorisé ses combattants à faire l’amour avec les prisonnières, dressant par là une exception en cas d’impérieux besoins. Ce sont des côtés soigneusement oblitérés. Bref, la religion s’est trouvée ainsi instrumentée à des fins de répression sexuelle.

L’état est composé de gens issus de la société et anthropologiquement formés à l’école de l’honneur. Ils reproduisent, dans le système judiciaire, dans les institutions de l’état et dans le fonctionnement des divers appareils, les impératifs de l’honneur. C’est ainsi que les couples non mariés sont jugés et condamnés, la présidence de la République algérienne ordonne la chasse aux couples et la justice se montre infiniment complaisante avec les criminels de l’honneur (l’idée de tuer un intrus qui a pénétré à l’intérieur de la maison, la nuit, (entendre : un homme qui a intentionnellement voulu attenter à l’honneur du groupe) est passée dans la croyance populaire comme étant un droit légitime.

Un intellectuel a peur de parler de problème sexuel parce qu’en le faisant, il donne aussi par la même occasion le droit à sa soeur de coucher avec un étranger, ce qui équivaut à ouvrir une brèche dans son honneur social et à saper sa réputation. Les groupes rivaux se surveillent en effet et chacun n’hésite pas à entamer la réputation de l’adversaire à la moindre occasion. L’intellectuel parle alors de façon voilée de condition des femmes, mais aussi de façon euphémique, limitée et surtout politiquement correcte : personne ne pourra attaquer sa réputation avec cela. Et, bien entendu, ce n’est pas avec des euphémismes que l’on provoque les vrais changements ou les vrais débats.

Au bout du compte, à qui profite le système ? Aux hommes? Je ne le crois pas. Ils se débattent dans une affreuse misère affective parce que les femmes auprès desquelles ils devaient prendre satisfaction sont préalablement enfermées ou limitées de déplacement et de liberté. Les femmes, et parmi elles se trouvent de grandes militantes du système traditionnel, se rabattent sur les animaux domestiques et l’homosexualité. Dans certaines cités universitaires en Algérie, les étudiantes achetaient des sacs de lait et se les faisaient déverser sur leurs poitrines avant d’appeler les chats. Je ne sais pas ce que ça fait comme sensation d’être léchée par un chat à cet endroit, mais je suis certain qu’un tel comportement est celui d’un être lésé dans ses droits humains fondamentaux, celui d’utiliser comme il l’entend son propre corps. Je ne parle pas de l’hystérie nocturne du ciel algérois, qui voit fuser jusqu’aux étoiles les youyous de la frustration féminine émanant des cités universitaires non mixtes.

Je pense que c’est un système qui ne sert personne. Il est tout simplement devenu caduc et malade, car les conditions pour lesquelles il était engendré ont presque disparu. Il continue à fonctionner dans un autre contexte, de façon anachronique, en générant énormément de souffrance, comme un moteur d’une deux chevaux qu’on met pour un bus de voyageurs futuriste.

Maintenant, supposons que le problème de la sexualité soit réglé, que l’honneur n’ait plus comme siège la virginité des femmes, que les groupes cessent de s’attaquer sur cette question, que les gens consentants soient publiquement tolérés et légitimés dans leur sexualité. Pensez-vous que les femmes seraient interdites/limitées de déplacements, de travail, de liberté, etc. ???.

Je ne le crois pas. Ce sera l’avènement d’une autre société, avec sûrement d’autres inégalités, d’autres combats à faire, mais pas celui-là. Il y aura le chômage, la lutte pour l’emploi, etc. mais jamais d’enfermement, de limitation de déplacement ou de liberté.

En définitive, cette condition n’est que la conséquence pratique de la question sexuelle. Alors, il faut arrêter de dire que les hommes dominent les femmes pour profiter de je ne sais quels privilèges. Que les hommes ont tout et les femmes rien. Qu’est ce qu’ils ont et qu’ils n’auraient pas sans cette domination ? Arrêter de faire de miséreux affectifs et sexuels des sultans divinement privilégiés, à la faveur d’un imaginaire grossièrement orientaliste. Car les femmes ne sont jamais mieux dominées que par d’autres femmes (Voir le rapport mères/filles par exemple). Mais surtout parce que si les femmes sont enfermées, c’est à cause de ce quelque chose qu’elles portent entre leurs jambes ! La société maghrébine a eu l’idée la plus saugrenue sur la terre qui consiste à placer son honneur justement là ou il ne fallait pas. La femme n’est donc partout sanctionnée qu’en tant que porteuse de sexe (et source de déshonneur possible pour tout le groupe). Pas en tant que femme. Mais cette sanction, déteint sur l’homme, ce qu’on oublie de souligner. En l’absence de femmes, il n’aime pas, il ne travaille pas, il ne baise pas, il souffre, il devient agressif et prêt à être enrôlé dans les fanatismes les plus sanguinaires.

Source : Angles de vue

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