Algérie : Cosmogonie dogonaise (Reportage)

par Reda Brixi

Aux premières lueurs, le chauffeur annonce le départ. Le poste de douane dès le matin est à son comble. Que de camions ! Seul un motocycliste nous interpelle. Il est Algérien revenant de l’Afrique du Sud après dix années d’absence.

-Comment ça va en Algérie ?

-Sur quel plan ?

-Tout.

-Faits majeurs : la capitale Alger a changé pour Tlemcen, ancienne capitale des Zianides.

-Comment ça ! Sans crier gare !

-Voter en référendum, l’hymne national aussi, c’est Min djibalina, la monnaie est librement convertible; restriction : pas plus de deux enfants par couple, l’étau du logement s’est étiré sur toute la côte et les Hauts-Plateaux. Le Maghreb est en plein boum…La gouvernance s’est muée en triumvirat, un quatrième spécial pour ramadan.

-Oh là, là, que de changements en dix ans.

-Allez, bonne route, l’autoroute commence après le poste, c’est la voie de l’Unité africaine, vers le nord jusqu’à Alger, au sud jusqu’à Lagos avec une bretelle à Gao.

-Merci des informations.

-Ce n’est pas des informations ce sont des rêves gratuits. Tout est à la même place. Cela n’a pas changé d’un iota.

Pour tromper l’attente et la chaleur, le défoulement fut de taille. L’esprit exulte, contaminé par les farandoles africaines.

«Il y a trois campings à Gao», nous dicte un gamin venu proposer ses services de guide.

-Lequel est le meilleur ?

-Celui du Français Claude sur la route de Bangui à deux kilomètres d’ici.

-Banco, on y va».

Le sable reprend ses droits, la piste s’élargit, devient un boulevard plat (c’est en Algérie, reine des trottoirs et des dos-d’âne que se mesure notre prouesse de conduite, n’est pas staïfi (de Sétif) qui veut !».

En bordure, des étals sont clairsemés offrant toutes sortes de produits, cela va des bouteilles d’essence pour les nombreuses mobylettes à la savonnette. L’animation est bien matinale, les gens profitent de la fraîcheur. Le camping est annoncé par une grande plaque aux couleurs vives avec l’inscription farfelue que chez Claude, le camping est meilleur que les cinq étoiles d’ailleurs. Effectivement, à l’entrée on est saisi par une grande pergola où de nombreuses tables servent de réfectoire et de cafétéria. Le patron nous accueille pour les formalités et commence à nous vanter ses douches et ses rafraîchissantes liqueurs.

Notre guide réclame une somme faramineuse et comme le change n’est pas encore accompli l’issue se complique. Claude se porte à notre secours et nous voilà sous la douche et un bon somme pour absorber la fatigue de la traversée du désert. Même nos paupières sont saupoudrées de poussière blanche, on dirait qu’on arrive du front.

Après une superbe décompression, nous nous enquêtons du consulat pour diverses informations et surtout pour lire les journaux. Le gardien et les préposés du consulat sont toujours considérés comme une mine d’informations. Ils connaissent le meilleur taux de change, les bons restaurants, les coins à visiter, etc. En général, ils sont très sympathiques qu’à la fin c’est eux qui proposent une entrevue avec le consul. Ce dernier nous brosse un tableau assez succinct sur le Mali et les Algériens qui y vivent.

-La colonie algérienne est bien implantée depuis ses générations. En général ce sont des commerçants qui ont développé le marché de la datte et du sel. Parmi les premiers qui remontent aux XV° siècle, ce sont les gens du Touat, rappelez-vous l’intervention du Fakir Abdelkrim Al Maghilli porteur d’un message de la Kadiria au Bilad Es Soudan. En même temps le troc se développa : dattes contre cheptel, sel contre or. Maintenant c’est le plastique, la vaisselle et les matelas mousse sans parler des produits soutenus : lait en poudre, huile, semoule, farine et produits pharmaceutiques. L’Algérie fait bonne figure auprès de Maliens. C’est une puissance assez crainte. L’influence française des années 60 a perdu de son look, surtout après le réajustement du franc CFA. Le Mali subit encore la radio RFI (France international) qui distille son idéologie». Nous déclare le consul autour d’un thé convivial.

-L’Algérie a donc supplanté l’influence française ?

-Pas totalement, elle demeure encore une pièce africaine, voyez son intervention avec l’opération «Barkhane». Elle anticipe sur le plan sécuritaire.

-Notre grand Belaouar dit Benmokhtar est toujours maître du pavé, plutôt du sable des alentours du Kidal ?

-C’est une région déserte, inhospitalière et un terreau fertile pour la pauvreté et l’insoumission.

Nous n’abusons pas de cette hospitalité pour nous déverser sur la réalité de la rue de Gao. Un petit tour du côté des berges du fleuve Niger où s’active un véritable petit port avec ses pinasses. Les vendeurs de tout bord s’activent comme des abeilles autour d’un pot de miel. En face trône le superbe café de l’hôtel Atlantique, vestige de style rococo de quelques informations sur le pays Dogon et le côté pratique du voyage (transport, victuailles, etc.). Tout autour des jeunes, des couples maliens et quelques coopérants lutins de passage nous lancent malicieusement : «Toubab, Toubab», Blanc, blanc comme les gringos en Amérique latine.

-Pourquoi Toubab ? me demande Chapi

-Ils évoquent la race blanche. Un reliquat du complexe de supériorité inoculé par les religieux passionnés de baptêmes. Ils ont tellement loués les bienfaits des Blancs, que les Africains pensent que le Blanc est doué de toutes les fortunes et intelligences. Les missionnaires ont faussé donc la donne en les gâtant de cadeaux et d’autres privilèges pour les convertir.

Super, l’autobus de la «Poste» (effectivement il est chargé d’acheminer le courrier) nous gratifie d’une propreté et d’un confort pour le moins insolite en Afrique. De la vitre, on admire les formes bizarres des monts Hombori avant d’arriver à Douentza où commence la falaise de Biandagara longue de plus de cent kilomètres. Les monts Hombori ont la forme d’une toupie renversée, lisse, usée, polie par la différence d’amplitude nocturne et diurne d’une part et du vent quasi permanent, un sculpteur hors pair qui a avec le temps érigé un chef-d’œuvre de la nature.

A Mopti «la Venise de l’afrique» notre étape majeur tire à sa fin pour aborder le pays des Dogons. C’est à la fois un centre commercial et un carrefour ethnique où se mêlent pécheurs Bozos, pasteurs Peuls, Dogons, Bambaras, Toucouleurs et Mossi. La ville de Mopti confluence du Bani et du Niger alimente des champs de riz à perte de vue. La légende dit que «si les eaux de ces deux fleuves mélangées dans une même bouteille la ferait exploser» Boum ! Des explosifs à demeure…

Beaucoup de frêles maison Bozos apparaissent alors sur les berges libérées par des plages, le trafic des pirogues devient incessant. Très beau spectacle à partir du Bar Bozoz. Si vous abusez des liqueurs fortes africaines à base de bananes, vous risquez de voir plusieurs pirogues à la fois et un télescopage dans la tête.

Mopti fut longtemps la ville malienne aux pratiques touristiques les plus contestables. Avec la SMERT (Agence de tourisme qui dispose du monopole), les touristes qui veulent visiter le pays dogon sont plumés par des prix exagérés. Ils préfèrent s’en remettre à des gamins pour les diriger par des passages dépourvus de postes de contrôles.

Au cas où vous êtes arnaqués, ne comptez pas sur la police de Mopti. (Quelques agents sont complices de tous les coups tordus). Malgré les installations électriques apparentes, la ville de Mopti libère le groupe électrogène pour une autre heure. Alors le filet des petites bestioles est levé et gare à votre peau sensible de Toubab.

Au matin le petit déjeuner chez Claude est un petit festival de fruits exotiques. A la sortie du camping, une flopée de gamins vous attend de pied ferme pour vous servir de guide. Il vaut mieux s’entendre sur le prix sinon vous allez les traîner pendant un bon bout. De prime abord, je leur explique mon trajet : «Je vais visiter le marché, puis une consultation des journaux au centre culturel et une virée en pirogue, le tout pour un franc CFA ou 200 dinars algériens».

-Dinar algérien ?

-Oui une monnaie de base matrice de tous les voyages !

-Non, je préfère le CFA

-Alors marché conclu !

Sur cent mètres du moins, cela traîne avec les autres guides, leurs sous-fifres et quelques mendiants. Une traînée qui peut générer une manifestation dans un pays d’Amérique latine. Mais c’est ça qui est ça en Afrique !

La visite du marché des artisans se révèle un véritable parcours du combattant (harcèlement des gamins avec leurs incessants cris de Toubab, la nuée de mendiants, sans parler de tous les artisans qui insistent pour voir leurs masques ou leurs statues. On active le pas pour échapper à cette étuve humaine pour s’embarquer sur une pinasse collective allant partout sur le fleuve, le Podo. L’heure se négocie du double au simple. Les mendiants et la grosse marmaille s’en tiennent à quai vociférant leur slogan à hue et à dia. «Bic, bombons, stylo, cadeau !» Au large ! La vermine ! Menace le bâton du mousse. Avant la mise du moteur, quatre rameurs souquent énergiquement pour s’éloigner de la plage. C’est le défilé d’authentiques villages peuls et surtout bozos dont ses habitants, presque nus vaquent à leurs préoccupations quotidiennes. Nous abordons sur un point du fleuve juste un minuscule chantier fluvial sans prétention au long cours, des artisans, torses nus s’échinent sur d’énormes pirogues effilées, fabriquées en bois de kalisedra, importé principalement de Côte d’Ivoire et du Sénégal. A côté un forgeron fabrique des clous à partir de vieilles tôles.

Le marché de l’artisanat en plein centre grouille, affichant un exotisme différent de nos souks, par l’animation bon enfant des Africains. Toujours souriants, rigolant à plein tube, leurs visages paraissent ouverts à toutes communications. Grands choix de bijoux provenant des villages peuls ou songhaïs des alentours. Des tas de tissus, des boubous, des couvertures à damiers multicolores similaires à nos contrées du Mzab ou des Aurès.

Le soleil darde sans pitié ses rayons sur nos frêles casquettes. Rien ne vaut le chèche targui. L’accostage pose problème d’équilibre aux femmes, une planche tendue sert de passerelle pour atteindre le quai. Et voilà un autre centre de Mopti côté ouest.

-Mais où allons nous dormir ?, soupire Chapi

-A l’hôtel du Campement Relax, tout près du monument aux morts, face au stade, il est mieux que le Kita Kourou qui ressemble à des vestiges après séisme ! Il est recommandé par le Guide du Routard à condition de se conformer à quelques conseils de prudence.

-Tu ne vas pas me dire que tu me traînes dans un bordel ?

-Loin de là, tu ne connais pas les mœurs africaines. Les bars, les lupanars sont confondus les chambres sont au premier dotées de moustiquaires et pas de ventilo à défaut d’électricité. Les sanitaires simples (mais propres) avec un filet d’eau de la douche alimentée par un tonneau juché sur le toit.

-Sans commentaires, je te suis.

-Avant le logement nous devrons négocier avec le guide pour demain afin d’entamer la falaise dogonaise.

Un négociant nous recommande son neveu tout souriant, rivé d’une bonne casquette. Il sera à notre charge pendant une semaine plus son pécule de guide.

A l’intérieur de l’hôtel c’est un va-et-vient continu. A la réception un bar attenant pourvu de solides barreaux. A l’intérieur, sur des tabourets sont juchées des Africaines jasant avec des Apollons bien nippés. Une musique sonore et provocante alliée aux feulements des ventilateurs égaye l’atmosphère. C’est la joie de vivre africaine !

Chapi, crispé s’agrippe à son sac, et in petto doit me maudire.

Le réceptionniste, très sympa nous file quelques tuyaux pour aller au Dogon : «Profitez, demain jour de marché pour aller à Bandiagara. Le contrôle est fluide. Une passoire. A Sangha tentez de louer une mobylette vous traverseriez la plaine en dix minutes». Et pour finir la dernière blague à propos du gable africain. Comment appelle-t-on le derrière d’une grosse citoyenne qui se dandine en quête de frémissements ?

-Une allumeuse

-Non, un bureau politique élargi en quête d’exercice.

C’est drôlement cocasse leur humour, me dit Chapi. Chez nous on dit aussi «une 404 bâchée» «la yajouz».

On remonte en fin de compte à notre chambre pour rejoindre au plus vite le restaurant sur le toit avec vue sur fleuve. Poissons, raki, musique, vue africaine, bureau politique figé, etc. toute une délectation concentrée du voyage.

Le matin de bonne heure, on repère un taxi de brousse à la gare centrale avec notre guide «Damas» qui nous guettait.

La 404 bâchée, ce nouveau vaisseau des pistes africaines prend légalement 15 passagers à l’arrière et trois en cabine. Elie, un Californien vétérinaire qui a loué sa maison et se paye avec son conjoint un tour du monde. Sans se presser, Ali, plein d’humour, me demande : A quelle date va-t-on démarrer ?

– Demandez au chauffeur, il est de la maison

– Non c’est un bidonné (au lieu de me dire c’est du bidon)

– Alors consulter les oracles, les dragons et les aïeux toubab, ici le temps n’est pas l’argent ! nous avons des montres et les Africains : le temps

– Notre habitacle démarre à travers l’Afrique. Une poésie ambulante. Les femmes chantaient, les enfants s’agrippaient aux pare-chocs, les chiens aboyaient et notre 404 frayait sa pise.

A midi, halte. J’invite Chapi à venir casser la croûte. «Je vous garde la place et le moral, ironise Ali.

Un bon riz au poulet à la baraque boui-boui nous fait oublier notre déconvenue. Le chauffeur se joint à nous pour nous raconter la dernière. Trêve de plaisanterie, conduisez moins vite !

– Toubab, vous avez peur de mourir ?

– Et vous non !

– Nous, c’est Allah qui décide !

Nous continuons notre piste à vive allure sans se soucier.

A la vitesse s’ajoute l’imprudence, le chauffeur, pour éviter les nids-de-poule, zigzague et la cargaison humaine derrière se balance au gré des trous. Le plaisir du voyage atteint son haut degré dans les tirages où un côté d’humains se jette sur l’autre bord, corps et…au redressement chacun exulte. A la première halte l’Américain négocie la vitesse réduite à coups de dollars, les Africains se tordent de rire. Nous arrivons miraculeusement sains d’esprit et un corps plus que blanc par la poussière. Une nuée de guides prend d’assaut l’Américain trahi par sa caméra trop débordante.

Porté à son secours, je l’invite à dissimuler cet appât catastrophique et de nous suivre pour un gîte décent autant que possible. Un hôtel campement, toiture de zinc, nous fut recommandé. Les chambres étaient vivables. Au grand hall la préparation pour la fête battait son plein. C’est un mariage et il y aura musique ce soir. Musique douce ? Nous sommes invités par la force des choses. Notre chambre était à deux mètres des grosses baffes. Le patron nous recommande un jeune guide (Mobidou) qui se chargera de nous louer les mobylettes. On met au vert notre ancien guide. La musique va nous accompagner même dans le rêve, une nuit bien agitée, quelle vie !

Usés jusqu’à la corde, nous enfourchons chacun sa mobylette abracadabrante et direction la falaise. L’Américain avec Mobidou ouvrent la piste. On chantait à capella à 5 heures du matin. Viva Africa !

«Cela s’appelle une rupture conventionnelle avec la sérénité», me crie Chapi juchée sur son engin brinquebalant. Il était démuni de frein arrière et de garde-boue. Nous voici en pleine brousse du plateau dogon. Les villages sont accrochés le long d’une paroi rocheuse assez escarpée. Les dogons sont venus se réfugier il y a cinq siècles dans ces trous, reculés et hostiles. Originaire du pays mandingue, ils ont fui l’islamisation. Une fois arrivés à la falaise ils chassèrent le peuple thélème qui vivait terré dans des grottes à même la falaise. Les thélèmes qui avaient chassé les pygmées pour trouver refuge dans la forêt. Ils ont continué de creuser des couloirs pour en faire un village «labyrinthe». Le cimetière est tout à fait en haut, à l’aide de cordage ils soulèvent leur mort. Un enterrement dominant, en première classe. Le reste est accessible par échelle, cordes et escaliers incrustés dans la roche. Un site original pour la photo seulement.

Par la suite, l’islam a pu pénétrer la région et s’y implanter sous El Hadj Omar, la maison de son fils Boukhar, vestige encore exposé à Bandiagara, comme quoi le djihad était précoce dans la région. La plaine leur offre une culture maraîchère, l’introduction de la culture des oignons est devenue prospère au point que l’oignon dans le troc est devenu une base d’échange comme la monnaie.

A proximité du campement, la maison de Marcel Griaule, célèbre ethnologue français est devenue quasiment un musée. Parti de 1931, il passa plusieurs années à étudier les rites et le système de pensées dogons et l’origine de la création (cosmognie) «peux-tu m’expliquer cette cosmogonie ?, me demande impatiemment Chapi au cours de notre marche en dégringolant sur les éboulis. «L’explication des coutumes en éthique interne fait partie d’une chaîne immuable du grand Tou. Les Dogons parlent de 14 systèmes solaires aux planètes plates et circulaires sur lesquels ogotemmêli l’informateur aveugle de Marcel Griauld ne donne pas de détail. L’ensemble a été créé par le Dieu Amma, qui organise et régit l’univers. Il lança des boulettes dans le ciel pour donner forme aux étoiles. Une légende ajoute qu’il y a fort longtemps, les femmes décrochaient les étoiles et les perçaient d’une tige pour les offrir à leurs enfant : de là vient le fuseay qui sert aux vieilles femmes pour filer leur quenouille.

Pour faire le soleil et la lune. Amar modela la terre en forme de deux canarias (poteries) qu’il chauffa à blanc, chaque astre fut décoré d’une spirale à huit volutes, en cuivre rouge pour le soleil, en cuivre blanc pour la lune, la terre fut créée en dernier lieu». Voici brièvement la représentation cosmogonique de la croyance des dogons vis-à-vis de l’univers.

«Ma hiérarchie dans cette cosmogonie est symbolisée par la pyramide : chacun la reconnaît symboliquement incarnée dans de nombreux objets du quotidien en particulier le panier conique qu’on porte sur la tête. La tête conique de la case, les masques qui rappellent la mémoire des hommes, sont là pour rappeler la tradition, le masque en bois se dégrade tous les soixante ans, le temps de faire passer l’âme du défunt dans un autre support, un peut comme les Malgaches pour le deuxième enterrement. C’est alors l’occasion de la grande cérémonie du sigui au cours de laquelle de nombreux sacrifices sont prévus. Le dernier sigui a été célébré en 1967, le prochain est prévu en 2027». Aux premières lueurs, la descente est aisée (nous avons laissé les mobylettes chez un paysan avec Modibou à Djiguibadou). Nous devons aller jusqu’à Bankass, village situé à dix kilomètres. La plupart des hommes et des femmes sont aux champs, on ne rencontre dans la journée que des enfants dont certains ont eu le cordon ombilical mal coupé. Ils apparaissent comme un gros bouton inesthétique sur un ventre gonflé par la malnutrition. Nous longeons le sentier en bas de la falaise où sont nichées les habitations. Sous l’ombrage d’un grand baobab, la case à palabres émet ses lueurs de sagesse. C’est là que lorsqu’un «vieux meurt c’est une bibliothèque qui brûle», que disait Hampaté Mba. J’imagine une séance de discussion pareille à notre djemaa en Kabylie, évoquant une question épineuse d’identité, s’énerve et se lève pour se heurter la tête avec les branches dues de l’arbre à palabres. Les patriarches ne discutent certainement pas les salaires et les privilèges de la nomenklatura.

Il fait très chaud, on s’octroie plusieurs pauses sous l’ombre des fromagers. On quête une terrasse pour passer la nuit en pensant à l’étape suivante du retour sans oublier de racler au passage, guide, mobylette et Mobidou, le roi de la rigolade au pays dogon.

Le Quotidien d’Oran, 1er août 2019

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