Maroc : A propos de l' »affaire » Maelainine Amina

Fouad Abdelmoumni

A propos de l' »affaire » Maelainine Amina, certains intervenants « modernistes » déclarent qu’il est du droit des citoyennes et citoyens d’être informéEs des faits et gestes de nos politiques qui indiqueraient la « schizophrénie » de la contradiction entre leurs déclarations de foi et leurs actes. Ça me pose quelques questions :

1. Comment installer des caméras qui suivraient tout le temps TOUS les acteurs politiques, y compris dans leurs chambres à coucher ?

2. Comment s’assurer que le traitement est égal, et non en fonction du degré de proximité des services ?

3. Comment veut-on que NOS amiEs acteurs politiques soient suivis et dénoncés dans chacun de leurs faits et gestes, surtout ceux qui ne sont pas nécessairement admis par la morale dominante (sexe, relations extra-conjugales, homosexualité, concubinage, fêtes, loisirs, comportement de leurs proches, alcool…) ?

4. Pourquoi ne pas appliquer ce traitement en fonction du niveau de responsabilité des acteurs : le roi (commandeur des croyants), les princes et proches, les conseillers royaux, l’establishment militaire, l’ensemble des ministres, tous leurs proches… ?

5. Quel docteur certifierait l’état de schizophrénie de chacunE ?

Certains amis ressortent à ce propos les positions du PJD (et de Amina Maelainaine elle-même) contre les libertés individuelles pour légitimer les attaques sur cette « schizophrénie ». Les positions incriminées méritent d’être confrontée pour leur contenu et arguments point par point. Par exemple, si la Constitution fait bien de l’Islam la religion de l’Etat, il n’est pas recevable d’en faire un argument pour empêcher le débat public; la Constitution n’est pas un texte auquel les citoyenNEs et les courants sociaux sont obligés d’adhérer; ils peuvent dénoncer et lutter contre tout ou partie de ses dispositions et oeuvrer légitimement à leur modification. Les lois qui violent les libertés individuelles que le PJD appelle parfois à appliquer dans toute leur sévérité sont des lois scélérates contre lesquelles nous sommes tout à fait fondés à lutter….

Mais les excès des uns ne donnent pas aux autres le droit de s’immiscer dans la vie intime des gens. Cette immixtion est non seulement moralement condamnable, mais aussi politiquement contre-productive, pour deux raisons essentielles à mon avis :

1. Elle est totalement instrumentalisée. Ce sont les services qui suivent les gens, les photographient, font des montages honteux et diffusent à tour de bras dans les journaux de caniveau, en fonction d’objectifs pas du tout honorables.

2. Le débat sur les valeurs, les références, les règles du vivre-ensemble et les normes de la morale publique est un long processus historique, que nous ne gérerons sainement que si nous acceptons que les avancées soient négociées entre progressistes et conservateurs, et non en utilisant des armes honteuses que le Makhzen adore fournir, afin de retourner tout politique en confrontation identitaire, et s’arroger le beau rôle de l’arbitre qui est au dessus de la mêlée.

Les « modernistes » accusent les islamistes l’utilisation abusive de la religion. Les traditionnalistes accusent les modernistes d’être à la solde de la France. Les arabistes accusent les amazighistes d’être à la solde de l’impérialisme, et les derniers accusent les premiers d’être les serviteurs des Saoudiens, de Baghdad ou de Damas. Les conservateurs accusent tout militant de servir les calculs étrangers visant le chaos pour mieux asseoir leur domination. Les unionistes accusent le Polisario d’être à la solde d’Alger. Les indépendantistes sahraouis accusent le Maroc d’être le laquais de Paris. Les médias accusent le « prince » Hicham de vouloir être Calife à la place du Calife. La majorité écrasante des marocainEs voient en les partis politiques des opportunistes cherchant juste leur intérêt mesquin…

Quand est-ce que nous nous élèverons au dessus de l’invective et des accusations à l’emporte-pièce pour construire un réel débat, sans chercher à disqualifier l’autre en le délégitimant de manière radicale, et en discutant ses idées, projets et performances plutôt qu’en insultant les personnes et leurs intentions ?

J’espère, et je vois les prémices, d’une remise en cause de nos pratiques. A chacunE d’en assumer sa part.