Tchad-Togo-Côte d’Ivoire: Course à l’argent des casques bleus

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Alors que l’Europe se retire progressivement du Mali et que les besoins en matière de maintien de la paix augmentent en République centrafricaine, trois États se bousculent pour obtenir de lucratifs contrats de fourniture de troupes. Mais les règles strictes de l’ONU en matière d’équipement et de formation constituent un obstacle de taille à leurs ambitions. Les derniers contingents de l’opération française Barkhane doivent quitter leurs bases dans les villes maliennes de Ménaka et de Gao d’ici le mois d’août, une perspective qui a incité le Tchad à s’efforcer d’atténuer le vide sécuritaire qui en résulte.

Fin février, Mahamat Idriss-Déby, qui dirige le Conseil militaire de transition tchadien, a annoncé son intention de renforcer la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) en ajoutant 1 000 de ses troupes aux 1 400 déjà déployées dans la mission, dont elles représentent plus de 10 % des effectifs. Plus que jamais, celui que l’on surnomme Kaka veut assumer le rôle de leader régional dans la lutte contre les groupes armés du Sahel, à l’heure où ceux-ci exercent une pression croissante vers le Golfe de Guinée. Mais pour l’heure, la volonté du Tchad de renforcer son contingent MINUSMA se heurte à deux obstacles, dont le premier est d’ordre matériel. Au lendemain de l’annonce de Kaka, le général sénégalais Birame Diop, qui dirige le bureau des affaires militaires du Département des opérations de paix (DPO) de l’ONU, s’est rendu à N’Djamena pour évaluer les besoins de l’armée tchadienne. Pour équiper son nouveau contingent, N’Djamena devra aligner au moins une centaine de véhicules blindés et éventuellement acquérir des drones d’observation.

Des discussions bloquées

M. Diop, qui a de bonnes relations dans les milieux de la coopération française, a d’abord demandé à Paris d’importantes quantités de matériel militaire, mais a essuyé un refus, selon nos sources. L’état-major tchadien s’est donc rabattu sur Ankara et négocie actuellement avec les fournisseurs turcs, de plus en plus actifs dans la région, à l’image de NurolMakina, qui équipe déjà l’armée tchadienne avec ses véhicules blindés EjderYalçin. Dans le même temps, le Tchad peine à définir les modalités de déploiement de son futur contingent. Alors que le DPO, à l’initiative de Diop, souhaite qu’il se rende dans le centre du Mali, N’Djamena préférerait le voir renforcer les troupes déjà présentes dans les bases du nord, à Aguelhok, Tessalit et Kidal. Ajouté à la présence importante au Mali de mercenaires de la société russe Wagner, ce désaccord a entraîné une quasi-paralysie des négociations ces dernières semaines. L’arrivée de Wagner au début de l’année 2021 pour travailler aux côtés des forces gouvernementales maliennes a considérablement ébranlé la MINUSMA, qui tient les deux groupes responsables d’une série de massacres de civils dans le pays.

La Suède prévoit de retirer ses 200 soldats de la mission l’année prochaine, et un débat fait rage en Allemagne sur l’avenir de son contingent militaire au Mali. Lors d’une visite à Gao début avril, la ministre allemande de la défense, Christine Lambrecht, n’a pas caché son scepticisme quant à l’évolution de la situation. En cause, la coopération sécuritaire de plus en plus étroite entre la junte malienne, dirigée par le colonel AssimiGoïta, et la Russie. Dans ce contexte, l’Union européenne a décidé le 11 avril de mettre fin aux activités de sa mission de formation militaire, EUTM-Mali.

Le Togo repoussé en RCA, la Côte d’Ivoire dans l’expectative

Le déploiement cette année de forces d’intervention rapide (QRF) supplémentaires au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA) a mis en lumière la manière dont Lomé et Abidjan tentent d’exercer une plus grande influence dans la région. Aux côtés de la Tunisie, du Sénégal et du Bhoutan, le Togo devait fournir en juillet un détachement de casques bleus mobiles, mais le mauvais état de sa flotte de véhicules blindés a conduit les experts de l’ONU à mettre un terme à ce projet. Des problèmes budgétaires ont considérablement retardé la livraison au Togo par la société sud-africaine Paramount de nouveaux véhicules blindés. Ce feu rouge a fortement irrité les hauts gradés togolais, notamment le colonel MoïseKemenceOyomé, chef de la division du maintien de la paix, qui n’a pas hésité à s’en prendre à Paris. Le fait que de nombreux hauts responsables de la DPO soient français, y compris – comme le veut la tradition – son chef, le sous-secrétaire général aux opérations de paix Jean-Pierre Lacroix, plaide en faveur de ce soupçon. Le revers du Togo est une bonne nouvelle pour Abidjan, qui nourrissait depuis plusieurs mois l’espoir d’envoyer des troupes en RCA.

Peu après qu’une inspection de l’ONU ait mis fin à un tel déploiement l’année dernière, les forces armées ivoiriennes ont pris livraison, début 2022, de 20 véhicules blindés de la société turque Otokar, peints aux couleurs du maintien de la paix, le blanc et le bleu, pour augmenter leurs chances. En juin, une mission d’inspection d’experts de l’ONU se rendra à Abidjan pour valider le départ de cette centaine de blindés. Le chef d’état-major, le général Lassina Doumbia, supervise personnellement l’ensemble du dossier, y compris les questions budgétaires, au détriment du ministère de la défense, dirigé par Téné Birahima Ouattara.

Question d’argent

Cette concentration des pouvoirs administratifs et opérationnels entre les mains de quelques officiers supérieurs n’est pas rare dans les armées africaines engagées dans le maintien de la paix. Elle est particulièrement flagrante lorsqu’il s’agit de gérer la solde, comme le montre une anecdote tirée d’une réunion tenue en 2019 à Abuja entre les hauts gradés des États membres de la CEDEAO. Les officiers présents ont été invités à discuter de l’établissement de procédures standard pour le déploiement des casques bleus. En plus de parler de vaccinations et de conformité des passeports, la CEDEAO a également suggéré que les allocations des casques bleus soient mises en banque individuellement. Un tollé s’est élevé dans les rangs des colonels sénégalais, ivoiriens, maliens et togolais, qui ont défendu le système informel en place, selon lequel les hauts responsables des casques bleus de chaque contingent national reçoivent toutes les indemnités de leur pays et les distribuent comme bon leur semble. Cela signifie qu’il n’y a aucune garantie que chaque soldat reçoive la totalité de son dû.

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