PE : Parlement Européen, corruption, Fight Impunity, No peace without justice, Antonio Panzeri, Eva Kaili, Francesco Giorgi, Maroc, DGED, services secrets marocains, Mohamed Bellahrach,
Par Benoît Collombat, Cellule investigation de Radio France, Pauline Hofmann, Le Soir
Le scandale de corruption qui ébranle le Parlement européen a mis en lumière le rôle ambigu joué par les groupes d’amitié. Avec le journal belge Le soir, la cellule investigation de Radio France a examiné les actions menées par l’un d’entre eux.
L’un des premiers effets concrets du Qatar-Marocgate a été la suppression des groupes d’amitié au sein du Parlement européen. Député européen (socialiste passé à La République en Marche) de 2009 à 2019, Gilles Pargneaux a présidé le groupe d’amitié Union européenne-Maroc durant ses deux mandats. Son nom a resurgi dans la presse, en marge de ce scandale de corruption. “Il n’avait pas honte de se présenter comme conseiller personnel de sa Majesté le Roi”, affirme l’ancienne députée portugaise Ana Gomès qui l’a côtoyé au sein du groupe socialiste. “Il était quasiment ambassadeur – sans le titre – du Maroc, et il en était très fier”, confirme un élu socialiste français.
“Je ne me suis jamais présenté comme le conseiller de sa Majesté”, répond Gilles Pargneaux, qui s’explique pour la première fois publiquement depuis que l’affaire a éclaté. “Je n’ai jamais vu sa Majesté le roi Mohamed VI. Je ne l’ai jamais rencontré personnellement. Je n’ai pas défendu les intérêts du Maroc. J’ai été le président du groupe d’amitié Union européenne – Maroc… qui n’était pas un groupe d’inimitié.”
Des liens avec un lobbyiste marocain
Lorsque nous le rencontrons dans un hôtel cossu lillois, l’homme ne cache pas le lien personnel qui l’unit au Maroc : marié à une Franco-marocaine, il a reçu en février 2013 l’équivalent de la Légion d’honneur marocaine “sur haute instruction de sa Majesté Mohammed VI”. “Il faut que le Maroc ait une présence accrue” au Parlement européen, explique-t-il à l’époque. Des fuites de documents diplomatiques marocains indiquent que les autorités marocaines ont apprécié son action et ses prises de position. “J’en suis ravi, nous répond Gilles Pargneaux. Cela veut dire que nous faisions aux yeux des Marocains un travail de facilitateur qui leur paraissait efficient. Ce rôle a également été souligné par des représentants de l’Union européenne (UE).”
En 2017, Gilles Pargneaux a également participé à un débat au Parlement européen, en présence de Kaoutar Fall, la directrice générale d’une agence marocaine de lobbying expulsée sept mois plus tard par les autorités belges qui la considèrent “activement impliquée dans des activités de renseignement au profit du Maroc”. “Je me suis fait avoir, de bonne foi”, explique Gilles Pargneaux. “Elle m’avait demandé de la parrainer. J’ai contacté l’ambassadeur du royaume du Maroc auprès des institutions européennes. Il m’a dit qu’il n’y avait aucun souci avec elle et que lui-même participerait à sa conférence.”
Une fondation et un cabinet de lobbying à la même adresse
En 2018, Gilles Pargneaux crée la Fondation Euromeda, avec le Marocain Mohamed Cheikh Biadillah (élu à la Chambre des conseillers au Maroc et président du groupe d’amitié parlementaire Maroc-Union européenne) et le Français Alain Berger du cabinet de lobbying Hill & Knowlton. “Nous avons été reconnus d’utilité publique par décret royal en août 2018 et avons simplement organisé deux réunions cette année-là en lien avec le think tank marocain Policy center for the New South”, se justifie Gilles Pargneaux. “J’ai fait une erreur administrative en mettant le siège social d’Euromeda à la même adresse que Hill & Knowlton”, explique de son côté Alain Berger. “Je l’ai changé au bout de trois mois. On s’est dit qu’il y avait besoin d’une fondation pour améliorer la relation entre l’Afrique et l’Europe avec un pivot particulier marocain. Le but de cette fondation n’était pas d’influencer la politique européenne, mais de trouver des projets d’aide en Afrique avec des programmes de formation, de jumelage, d’échange de matériel et la formation de femmes imams.”
Pour l’ONG Western Sahara Ressource Watch (WSRW) basée à Bruxelles, en revanche, Euromeda s’apparenterait à une structure de lobbying en faveur du Maroc. “Le concept était soutenu par un certain nombre de personnalités marocaines”, répond Alain Berger. “Mais ça n’a jamais été encouragé par le gouvernement marocain.” ”Cela n’avait rien à voir avec la volonté d’être les lobbyistes du Maroc”, affirme également Gilles Pargneaux, qui précise que “depuis 2019, la Fondation a été mise en sommeil” faute de partenariats financiers.
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=cgEEurQA4ds&w=560&h=315]Fin 2018, la Fondation a été éclaboussée par la démission forcée de l’eurodéputée française Patricia Lalonde, autrice d’un rapport sur l’accord commercial passé entre l’UE et le Maroc. Elle avait été critiquée pour son travail jugé partial en faveur de Rabat, après s’être rendue au Maroc et au Sahara occidental, en septembre 2018, avec deux autres députées européennes. “Le programme de cette mission était assez douteux”, témoigne l’eurodéputée finlandaise Heidi Hautala qui était présente sur place. “Le Maroc voulait clairement montrer que la population locale tirait de grands avantages des accords commerciaux avec l’Union Européenne. Nous avons eu droit à une présentation totalement unilatérale des choses. Il n’était absolument pas question dans notre programme de rencontrer les organisations indépendantes des droits de l’Homme représentant le peuple sahraoui. Lorsque j’ai voulu en rencontrer, la police marocaine a fait barrage.”
Mais surtout, la presse révèlera que tout en étant eurodéputée, Patricia Lalonde faisait partie du conseil d’administration d’Euromeda. “J’ignorais à l’époque qu’elle était partie avec une délégation de députés au Sahara”, explique Gilles Pargneaux en précisant que le comité d’éthique du Parlement européen a conclu qu’il n’y avait pas d’infraction au code de bonne conduite. “Son rapport était bon, mais face à la pression des membres de l’intergroupe sahraoui, elle a démissionné. En tant que président de la fondation, j’ai été victime d’une cabale”, déplore l’eurodéputé Renaissance.
Des voyages dans des hôtels luxueux
Au-delà du cas de Patricia Lalonde, l’ancienne eurodéputée socialiste portugaise Ana Gomès estime que certains déplacements à l’époque étaient par ailleurs problématiques. “Il paraissait clair qu’ils n’étaient pas payés par le Parlement”, estime Ana Gomès. “Il s’agissait de voyages qui convenaient au Maroc et supposant d’aller dans des hôtels fantastiques. Plusieurs fois, Gilles Pargneaux m’a demandé pourquoi je ne venais pas.”
“Je n’ai jamais proposé à Mme Gomès de venir dans le cadre d’un déplacement du groupe d’amitié. Et j’ai toujours respecté les règles édictées par le Parlement européen”, répond Gilles Pargneaux qui dit vouloir poursuivre en justice l’ancienne eurodéputée. “Les voyages étaient financés sur nos indemnités et déclarés publiquement. Il s’agissait de déplacements professionnels, politiques. Pas de voyages personnels.” Il ajoute : “Bien évidemment, nous étions accueillis par les autorités marocaines pour se loger. Mais nous n’étions pas dans des hôtels cinq étoiles.”
Cette question du financement des voyages des eurodéputés reste entière au Parlement puisque les voyages financés par des tiers sont toujours autorisés… A condition d’être déclarés. La présidente du parlement Roberta Metsola, elle-même épinglée pour un voyage non déclaré en Israël, ne propose pas pour l’instant de changer en profondeur le système, après avoir dénoncé “une attaque contre la démocratie européenne” lors de la révélation du scandale de corruption concernant sa vice-présidente, Eva Kaili. Quant aux éventuels cadeaux reçus par les autorités marocaines, Gilles Pargneaux assure qu’il a en tout et pour tout reçu “quatre ou cinq présents de courtoisie, inférieurs à 150 euros”, soit la limite légale fixée par le Parlement européen.
L’ancien eurodéputé travaille désormais pour une société de conseil en France (P & B Partners) et comme “senior advisor” au sein de Hill & Knowlton qui, selon lui, a travaillé pour le Maroc à deux reprises “en 2011 et 2016”. “C’est peut-être un gage de reconnaissance de mon activité professionnelle”, commente l’ex-eurodéputé. “Le contexte de notre mission était de redresser l’image désastreuse du Maroc, après les attentats, auprès des institutions européennes et belges. Notre contrat a été passé avec l’ambassadeur marocain auprès de l’UE. Puis les autorités marocaines ont décidé de travailler avec une autre agence”, explique une source au sein de de Hill & Knowlton.
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